14 mai 2004     -      Table ronde


Des Jeunes qui s’engagent


Valérie DEJEANNE, accompagnement de fin de vie

Joëlle MERCKAERT, politique de la ville

Jean MERCKAERT, développement du Tiers-Monde

Christophe SARTRE, environnement et agriculture biologique

Pascale TUJAGUE, accueil des personnes sans domicile fixe


La table ronde était animée par le Père J.-M. PUYAU, de l’équipe du Narthex.

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Jean-Michel PUYAU

Mardi dernier, c’était Jean-Claude Guillebaud qui ouvrait la quinzaine en posant la question : notre société n’est-elle pas ne panne d’avenir, et il invitait en conclusion à la détermination persuadé qu’un autre monde est possible, qu’on n’est pas voué à la gestion du présent au jour le jour, qu’on n’est pas livré du destin, mais qu’au contraire, on peut avoir prise sur le cours des choses. En tout cas une société ne peut pas vivre sans projet, sans avenir. Nous allons donner ce soir la parole à des gens qui sont convaincus que ce monde n’est pas clos sur lui-même, qu’il peut bouger, qu’un avenir est possible, que quelque chose peut se construire, et pour cela parce qu’ils sont déterminés, parce qu’ils croient à ce qu’ils font, parce qu’ils croient que les choses peuvent évoluer, ils se sont engagés dans des pratiques, dans des actions, que ce soit dans le choix de leur profession, ou dans des associations. Nous avons choisi de donner la parole à des jeunes entre 25 et 35 ans, d’abord parce que quand on parle de l’avenir, si les jeunes ne sont pas là, c’est embêtant. Et puis parce qu’on dit tellement que les jeunes ne sont plus présents, qu’ils ont déserté la vie associative, le champ social, qu’on a voulu y voir d’un peu plus près. Donc, voici des jeunes qui s’engagent, Jean Mercat dans le développement du tiers-monde, Joëlle, sa femme dans la politique de la ville, Pascale Tujague dans l’accueil des SDF, Christophe Sartre dans l’environnement et l’agriculture biologique, et Valérie Déjeanne, dans l’accompagnement des personnes enfin de vie. Chacun nous dira un peu ce qu’il fait, mais surtout son itinéraire, les raisons de ses choix ; ont-ils conscience de bâtir l’avenir, et qu’est-ce qui les soutient ?


Christophe Sartre

J’ai 36 ans, je suis de Tarbes. Après des études scientifiques j’ai obtenu un diplôme d’ingénieur agri. J’ai été coopérant en Afrique de l’Ouest, pendant 16 mois à Conakry, où j’ai fait un peu de développement agricole, mais pas exclusivement. De retour en France, j’ai trouvé du travail en Suisse Italienne, comme responsable d’une unité de production en hors sol (le maraîchage le plus intensif de ce qui peut être, à l’opposé de l’agriculture biologique !). En Suisse française, j’ai commercialisé les production de producteurs de plantes ornementales. Puis, rentré en France, en fin 98, je me suis installé en agriculture biologique au printemps 99. En tant que jeune agriculteur, l’exploitation est dans les Landes entre Dax et Mont-de-Marsan. J’ai fait le choix de ce mode de production pour différentes raisons. J’avais vu pendant 2 ans le hors-sol, et je voyais les tenants et les aboutissants. Je voyais la course à l’investissement, à l’intensification, on accumule de plus ne plus de matériels et d’engrais pour produire de + en + sur une surface réduite pour baisser les coûts de production le + possible. Cette agriculture intensive était managée par de grosses entreprises agro-alimentaires ou de grosses coopératives qui considèrent l’agriculteur comme un prestataire de service. Il est un peu dépossédé de son pouvoir de décision, on lui dit « tu sèmes à telle date, tu produis telle variété », il n’en a même pas le choix, « tu récoltes à telle date, tu traites avec ces produits-là », surtout . Ces groupes de plus ont bien ficelé leur affaire : ils font de la commercialisation des produits de leurs agriculteurs, et ils les fournissent en amont, en intrants, avec tout ce qu’il faut pour produire. L’agriculteur se plie à ce système-là, il est un peu contraint par le groupe, bon, il y va, pour piloter son entreprise. Moi, je ne souhaitais pas entrer dans ce système, et j’avais envie d’exercer pleinement mes responsabilités d’agriculteur. L’agriculture bio me l’a permis, car il n’y a encore pas de structure de commercialisation qui encadre et dirige la production. J’ai pu choisir le développement que je voulais. Mais il faut aussi produire la commercialisation de ses produits. 

Donc, avec un groupe d’agriculteurs biologiques des Landes, on a créé une SICAD, une structure commercialisation de produits exclusivement io, des légumes, de la volaille et un peu de farine. Cela nous a premier de nous développer, la structure et les producteurs ensemble. Avec l’agriculture conventionnelle et l’intensification, on est amené à négliger tout ce qui est environnement, et c’est aussi une raison de mes choix. On travaille avec les cycles naturels et des produits d’origine naturelle. Tous ces choix me permettent d’envisager l’avenir plus sereinement vis-à-vis de mes convictions : préserver l’environnement, pouvoir maîtriser mon développement ,savoir où je vais, ce que je ferai demain. Et en plus mettre à la disposition des gens des aliments plus sains au niveau des commerces. Le challenge n’était pas gagné d’avance ; avec 5 ans de recul. La bio est encore assez confidentielle en France, elle représente 1% de la SAU (Surface Agricole Utile, cultivable, en France). C’était délicat au départ. Je me suis facilement intégré au milieu agricole, n’étant pas originaire de la zone où je me suis installé. Au début, je passais pour un doux rêveur, et ils se demandaient ce que j’allais devenir. Maintenant, je suscite un peu la curiosité. On se dit « Tiens, il est encore vivant » et on se demande comment j’ai fait. C’est vrai que les mentalités agricoles sont très lentes à changer, ils ne voient pas de salut en dehors du conventionnel. Pour eux, le bio, c’est vraiment une petite niche, ils n’y croient pas. Mais au niveau des personnes qui me côtoient, qui ne sont pas issues du milieu agricole, il y avait quand même un élan plus favorable, ils me soutenaient un peu plus. 

Le changement le plus sensible est au niveau de la consommation. Je suis co-gérant de la SICAD, je vois comment évolue el marché bio, et on est constante progression tous les ans. Au niveau des consommateurs, on sent un désir d’avoir des produits sains et plus respectueux de l’environnement. Tout se développe, les labels de qualité, rouge, bien sûr le label « agriculture biologique ». Bien sûr on commence à parler de commerce éthique, donc la tendance est en ce sens. Mon espérance est que les exigences des consommateurs que vous êtes vont forcer les groupes agro-alimentaires à changer leur politique, à aller doucement vers des pratiques plus raisonnables pour notre environnement. Mais pour cela il faut que la demande soit assez forte. Le bio progresse mais reste encore assez marginal. Et il y a aussi une affaire de volonté politique, il n’y en a pas. D’autres pays européen sont partie derrière nous, et nous sont passés devant. Il n’y a pas d’élan politique qui nous aide ; La difficulté est de faire prendre conscience aux agriculteurs conventionnels de faire prendre conscience des dérives du conventionnel. Les conséquences ne sont pas visibles directement : vaches folles, poulets à la dioxine, qui font d’un jour à l’autre la Une des journaux. Les conséquence sont à plus long terme, et les agriculteurs ou les consommateurs n’arrivent pas à le sentir. Le climat va évoluer, on a des appauvrissement de faune et de flore vu l’utilisation des insecticides, une dégradation des sols, une pollution des ressources en eau douce avec des répercussions sur la santé. On va s’en rendre compte dans plusieurs années. Les difficultés de la bio viennent aussi du côté des industries chimiques qui ne supportent pas que l’on puisse cultiver sans pesticides ni désherbants. Donc l’autonomie des exploitations bio les dérangent . Il ne nous aident pas ! Au niveau politique, il y a de gros enjeux économiques face auxquels les pauvres agriculteurs bio ne pèsent pas lourd. Là aussi, c’est pareil, le changement peut venir de l’opinion publique qui peut insuffler ses exigences. On l’a vu récemment avec les insecticides « Gaucho », qui rendaient les abeilles malades. La bio manque un peu de communication, on ne connaît pas les tenants et aboutissants, le enjeux. Ce mode de production dans le sens d’un développement durable, avec le respect des cycles naturels et des cahiers des charges respectueux du développement des animaux ; on remarque qu’on a une pérennité des exploitations en bio que le conventionnel ; on est plus indépendants par rapport aux groupes industriels, et par rapport aux fluctuations du marché. Ni de concentration des exploitations comme dans le conventionnel, où les gros deviennent de plus ne plus gros et où les petits disparaissent, ce qui n’est pas le cas en bio. Et on a une meilleure qualité de vie personnelle, avec plus de responsabilités et pas de manipulations dangereuses. De plus en plus de personnes sont sensibles à la question du développement durable, mais je crains que les changements soient très lents. Les pays de l’Europe du Nord sont toujours en avance sur le plan développemental : en Allemagne, l’agriculture bio représente 10% de l’agriculture globale. Le bio est un chois d’une société meilleure et un choix d’avenir.


Jean-Michel PUYAU

On pourrait croire que l’agriculture ne peut être que ce que tout le monde fait. Merci à C. Sartre de nous avoir montré qu’autre chose est possible. On va passer des Landes à la banlieue Nord de Paris.


Joëlle MERCKAERT

J’ai 26 ans, j’ai choisi de m’engager dans la politique de la ville. M ias ne termes d’engagement cela vient de plus loin. J’ai fait des études en Sciences Politiques, et depuis toujours j’ai grandi en banlieue parisienne et j’ai toujours beaucoup aimé ce cadre, le fait d’avoir autant de personnes différentes qui vivent ensemble, le foisonnement et la richesse, mais j’ai toujours été très sensible au fait que il y a le centre de Paris, très beau et très sympa…, et puis toute une frange de banlieue qui est totalement exclue, et de manière générale, à la frange de toutes les grandes villes, il y a à la fois un foisonnement et une exclusion générée partout : sociale, urbaine, économique. J’y ai toujours été sensible, et dans mes études je me suis occupée de tout ce qui touchait aux politiques urbaines, aux politiques sociales dans la ville. Un des fondamentaux, c’est qu’avec mon mari, on est partis en Colombie pendant un peu plus de deux ans, en tant que volontaires à Bogota, une mégalopole, dans un quartier pauvre, à Fengosé, et on travaillait avec une église colombienne sur la culture de paix dans les quartiers populaires, et on travaillait avec des jeunes, des femmes, des syndicats, sur la résolution de conflits, sur l’organisation communautaire, et vraiment on a essayé de créer avec des réseaux qui permettent d’être solidaires pour survivre dans une situation d’injustice sociales, dans le conflit armé avec la guérilla et l’armée, dans les campagnes et même aussi les villes. On a découvert une misère qu’on n’imagine pas ne France, mais avec des gens qui ont une joie de vivre, qui luttent et se débrouille avec des ressources qu’en France on n’imaginerait pas. Et là-bas on a connu des gens qui étaient prêts à s’engager, en Colombie, ça veut dire risquer sa vie, pour plus de paix et de justice en Colombie. 

Quand on a décidé de rentrer en France, c’était aussi parce que c’était très dur là-bas. Depuis que nous sommes rentrés, on souhaite pouvoir continuer cette cohérence de vie, qui peut aller de notre vie de tous les jours, notre vie de couple, avec notre famille, nos copains, et un travail qui fasse sens par rapport à cet engagement qu’on a connu là-bas. J’ai eu la chance de trouver ce que je voulais, un travail dans une mairie, à Villeneuve-la-Garenne, de 25.000 habitants au nord de Paris, et comme le reste ce se sont les anciennes villes rouges, les plus pauvres de la banlieue, énormément de grands ensembles, de cités qui ont mal vieilli, de population immigrée. Il y a plus de 75% de logements sociaux, une ville assez charmante en bord de Seine, avec des quais, mais aussi beaucoup de grandes barres, et qui aujourd’hui accumule beaucoup de handicaps, avec un taux de chômage bien plus élevé que la moyenne, beaucoup d’étrangers avec des femmes qui ne parlent pas le français, qui ne peuvent ni s’intégrer ni trouver du boulot. Les grandes barres HLM des années 70 ont beaucoup de problèmes de voisinage, avec des parkings autrefois sécurisés, et qui maintenant son des lieux de squatt, de trafics, avec des problèmes de violence, mais ne même temps on y vit bien aussi. Donc, assez de handicaps pour faire partie des villes françaises qui font partie des politiques de la ville. C’est une politique nationale mis ne place pour toucher ce genre de quartiers ; on s’est rendu compte que les politiques nationales, de l’éducation, du logement, de la santé, elles fonctionnaient, mais il y a toujours certains quartiers ou certains habitants qui n’en retirent rien justement parce qu’ils accumulent trop de handicaps. La politique de la ville consiste à reprendre ces quartiers dans leur globalité, et à se demander pourquoi la politique de l’éducation, qui fonctionne partout, dans ce collège de ZEP ne fonctionne pas, et de voir les causes : les parents qui ne parlent pas français, … C’est vraiment reprendre à zéro dans un quartier pourquoi ça ne fonctionne pas. 

J’y travaille depuis un an et demi, et je suis responsable de la politique de la ville dans deux grands quartiers qui concernent la moitié de la population de Villeneuve. On travaille sur la réhabilitation urbaine des quartiers, avec par exemple une barre de 10 étages qui fait 400 m de long, qui a été coupée en deux endroits, ce qui a impliqué 4 cages d’escalier, donc de déloger et reloger les familles qui étaient là. Ce n’est qu’un exemple, il y en a d’autres. C’est un boulot passionnant qui me remet beaucoup en question parce que je suis dans un poste …, je travaille avec le maire, avec des architectes urbanistes pour recréer des rues, etc. Qui vous diront : là il faut faire une rue, la un espace public, là une place. Ils ne pensent pas forcément aux familles qui habitent là où la rue va passer. Je travaille donc à la fois avec ces spécialistes et avec les habitants, et ce qui le plaît c’est qu’avec les habitants, parce qu’avec mon équipe on a ouvert des bureaux où on reçoit les habitants qui veulent s’informer sur les projets développés. Ce que je trouve passionnant, c’est de les recevoir et de me mettre à leur place. Moi, ça me serait facile de dire : « Bon, ce quartier, ça ne fonctionne pas, il faut créer une rue ici… », mais ce n’est pas en touchant du bâti et de l’urbain que cela ira mieux. Il faut aussi savoir se mettre à l’écoute et à la place des gens qui y habitent pour trouver des solutions avec eux. Voilà l’engagement que j’ai pris. Un dernier point, j’était dans un milieu pendant mes études, où on était tous très idéalistes, à critiquer le système en disant que c’est un système qui génère des injustices, etc. Au niveau professionnel, j’aurais pu travailler dans des associations pour travailler au DAL (Droit Au Logement) ou pour les sans-papiers. J’ai fait un choix que j’assume mais qui me pose question tous els jours : travailler pour la fonction publique. On peut être dans une association pour critiquer, mais moi j’avais envie de travailler de l’intérieur, de dire « Il y a des politiques publiques qui existent, pourquoi elles ne fonctionnent pas », et d’être prêt à faire des compromis, parce que quand on travaille dans une mairie, on ne peut pas toujours être du côté des habitants. Il faut reconnaître que parfois, au nom de l’intérêt général, il faudra aller contre leurs vœux. J’ai su mal à l’assumer mais c’est comme ça qu’on va pouvoir avancer. On est dans une position de gestionnaires qui n’est pas forcément la position idéale et exaltante qu’on aimerait avoir mais je pense que c’est comme ça qu’il faut avancer.


Jean-Michel PUYAU

Il est important de constater que même dans les grands ensembles il y a quelque chose à faire. On va passer à Jean Merckaert qui est dans une association. Je ne sais pas s’il y a autre chose à y faire que critiquer (rires).


Jean Merckaert

J’ai 27 ans, je suis de Lille. Je suis dans le milieu associatif. Je travaille au CCFD, dans ce qu’on appelle la direction des études et du plaidoyer. Le CCFD a deux missions traditionnelles, c’est de soutenir des partenaires dans les pays du Sud, les projets de développement, et l’autre de sensibiliser l’opinion publique française, dans les collèges, les paroisses. Et depuis quelques années, il y a une troisième fonction qui s’est développée, c’elle de plaidoyer ou de lobbying, sur des question plus politiques, puisqu’on s’est rendus compte que c’était bien beau de soutenir des partenaires dans divers domaines, santé, éducation, mais on s’est rendus compte que si en même temps les politiques qui étaient menées dans ces pays visaient à la privatisation de ces services et qu’il n’y avait aucun fond public pour la fourniture de services de base, on n’allait pas au fond du problème. On a commencé à mener de grades campagnes d’opinion, la première ayant été celle pour l’annulation de la dette des pays pauvres, pour s’attaquer justement à ces problèmes structurels. Au sein de ce service, je suis ces questions de financement du développement et je coordonne la plate-forme d’aide au développement qui est celle qui fait suite à la compagne d’annulation de la dette des pays pauvres. C’est un collectif d’association et de syndicats, on est à la Bourse du Travail, il y a la CGT, la CFDT, la CFTC qui en font partie, ATTAC, le Secours Catholique. On y monte des actions auprès des pouvoirs publics pour trouver des solutions justes et durables au problème de la dette des pays pauvres. Je travaille aussi pour l’augmentation de l’aide des pouvoir publics au développement, donc les fonds que consacre la France dans son budget annuel aux pays pauvres ; pour la réforme des institutions internationales comme le FMI, ou la banque mondiale qui sont des institutions très peu démocratiques et qui imposent des politiques aux pays du Sud contre leurs grés, et cela touche des problèmes généraux de réforme des institutions, les relations entre l’ONU et les institutions financières internationales, la mise en place de nouveaux fonctionnements comme la mise en place de la taxe Tobin. 

Concrètement, c’est à la fois un travail d’expertise, de faire des rapports, de fournir des réponses aux pouvoirs publics sur tout un tas de propositions qu’ils font, et d’en faire nous aussi. Aujourd’hui Chirac recevait un rapport sur de nouvelles formes de financement du développement, il avait nommé un petit groupe d’experts et nous avons été reçus par ce groupe pour leur donner nos propositions sur la taxation sur des actions de change. Nous sommes allés à Washington où il y avait une réunion du FMI, et on y va pour rencontrer des responsables de manière à essayer d’influencer les décision qui y sont prises. Et des actions de formation. Je suis allé en Côte d’Ivoire pour y faire une formation avec des acteurs de la société civile Ivoirienne qui travaillent à la dette de leur pays, car le pourcentage du budget national consacré à cela est énorme. Mais puisque le problème c’est comment j’en suis arrivé là, et quel sens on donne à notre travail. Je dirai que j’ai toujours voulu éviter d’avoir d’un côté mon métier et de l’auteur des engagements sans rapports. Que ce pour quoi on a envie de se battre soit dans le cadre de notre métier. J’ai fait des études de Sciences Po comme Joëlle. ET sur le développement du Tiers-Monde. J’ai milité au sein d’une petite association qui s’appelle « Survie » qui dénonce les relations parfois un peu trop maffieuses entre l’Afrique et la France, et puis notre départ en Colombie avec la Délégation en Colombie pour la Coopération, c’était pour confronter nos connaissances théoriques sur le développement, avec la vie des gens au milieu desquels on pouvait vivre. C’était aussi l’occasion de vivre une expérience forte ne couple juste après notre mariage. A notre retour, le souci était donc la cohérence, et ce que j’ai cherché, c’est comment lutter ici en faveur des gens là-bas. Et les politiques néo-libérales menées sont des choses qui touchent tous ces pays. Ce qui m’a aussi beaucoup touché, c’est la non-violence active. On formait les gens à la résolution non-violente des conflits, ce qui va jusqu’à donner sa vie. Parler d’engagement non-violent en Colombie, cela nous amenait sans arrêt à dire : « Bon, mais allez-y mollo », parce qu’il y a des tas de jeunes à Bogota qui se font tuer à cause de leurs engagements communautaires. Parler de non-violence et d’engagement en Colombie, cela a une toute autre dimension qu’ici. Quel sens est-ce que je donne à tout cela ? A-t-on l’impression d’inventer l’avenir ? Est-ce que ça avance ? Ce n’est ni tout rose ni très facile. Le type de dossier sur lequel je travaille n’avance pas tout seul, c’est plus difficile à percevoir : se battre pour l’annulation de la dette … 

A la limite, il y aura quelques virgules qui changeront dans les statistiques, mais c’est quand même un peu ingrat, mais en même temps on y croit. C’est assez technique, ça ne passionne pas les foules. Et puis on nous dit « Inventer l’avenir », mais vous autres, vous ne nous avez pas facilité les choses ! Malgré ces difficultés, il y a des signes d’espérance énorme. L’annulation de la dette, c’est parce que la dette est un obstacle énorme au développement des pays et à la satisfaction des droits fondamentaux des gens, et c’est leur dignité fondamentale qui est en jeu. La dette sert aussi d’instrument de domination et de contrôle sur les politiques qui sont menées dans les pays puisque les institutions internationales soumettent leurs prêts à la mise en oeuvre de certaines politiques. C’est aussi une lutte pour la liberté des peuples, de choisir leur destin, une lutte pour la démocratie des pays du Sud ; et pour la justice car quand on regarde la dette, les responsabilités entre les pays du Sud et du Nord sont vraiment partagées, il y a vraiment des gens qui ont incité certains régimes à s’endetter au détriment de la population, pour acheter des armes ou au profit de quelques uns,  et donc c’est aussi reconnaître notre part de responsabilité, c’est la défense de valeurs. Deuxième aspect de cet engagement : je ne suis pas tout seul même si ça ne parle pas à la foule. Le fait , dans une plate-forme avec des associations et des syndicats de lutter ensemble pour une même cause, avoir un projet collectif c’est très porteur, très motivant, et c’est quelque chose que je vis également, et puis est-ce qu’on a l’impression d’inventer l’avenir ? Eh bien oui, et au CCFD on y est directement en participant au forum social mondial, européen, on était à Porto Alegre ou à Bombay cette année. Un des slogans de ces forums est « Un autre monde est possible » et nous on pense qu’il est possible si les gens se rencontrent, s’ils dialoguent ensemble, et construisent. On y va nous mais surtout on essaie de faire participer tous nos partenaires du Sud pour qu’ils puissent exprimer leurs opinions, leurs perspectives, parce que ce monde sera possible uniquement si on le construit ensemble.


Jean-Michel PUYAU

« un autre monde est possible » : on va voir la question sur un autre registre. Les interventions étaient jusqu’à présent sur un registre collectif, associatif. On va maintenant écouter deux témoignages de deux personnes qui travaillent au niveau interpersonnel. Nous allons commencer par Valérie Dejeanne, qui est salariée par ailleurs mais travaille dans une association.


Valérie Dejeanne :

J’ai 36 ans, je suis cadre dans la restauration et je fais des visites de malades en fin de vie. Pourquoi ? Il y a quelques années, j’ai accompagné  ma belle-mère qui est morte d’un cancer. Et quand je l’accompagnais à l’Ormeau ou à Lourdes faire ses chimio, je me suis aperçue qu’il y avait des gens qui mouraient seuls, et ça m’a fortement interpellé. Quand ma belle-mère est décédée, i la fallu que je fasse mon deuil et ça a été difficile, et quelques temps après, je me suis dit : « Il faudrait que je fasse quelque chose ». Je ne savais pas quoi, j’ai fait des recherches et je suis tombée sur l’association SPP, Soins Palliatifs Pyrénéens, et j’ai pris contact. Ils m’ont re-contactée, j’ai suivi une formation qui dure 6 mois. Cela peut avoir l’air long mais cela ne l’est pas, car quand on accompagne des gens qui vont mourir, on a des stress, on a des moments d’incertitude, et la formation permet de se remettre en question et de voir si l’on peut continuer ou pas. Donc, j’ai visité beaucoup de personnes à l’Ormeau. C’est super-enrichissant, c’est impressionnant de voir ce que cela peut apporter d’accompagner des gens qui sont très malades. Avant, j’étais super intolérante, mais maintenant, quand je vois ces gens qui donnent plein de bonheur, je trouve ça merveilleux. Je fais maintenant aussi de la visite à domicile, je visite une dame qui n’est pas en fin de vie, qui a une sclérose en plaques, je la vois aussi régulièrement. 


Jean-Michel PUYAU

Et donc maintenant, c’est Pascale Tujague qui est comptable, et le dimanche quand elle a du temps, elle va voir des personnes sans domicile fixe, et parler avec elles.


Pascale TUJAGUE

J’ai 36 ans. Je suis comptable à Trie Sur Baïse, dans un bureau du centre de gestion de Tarbes. J’ai d’abord travaillé dans le Gers, et quand je suis revenue au pays, j’ai éprouvé le besoin de rencontrer des personnes différentes. Je suis allé donner des cours de soutien à une élève de 5ème dans le cadre du Secours Catholique, c’est très enrichissant parce qu’on l’aide à grandir et à évoluer, on lui apporte autre chose que des cours, il y a une forte motivation. L’opportunité est venue ensuite d’être à l’équipe ST Vincent de Paul et de faire partie de l’équipe du dimanche au Point d’Eau. Donc,  là, les plus démunis viennent se rencontrer, prendre un café, des gâteaux, il y a un moment de détente, il y a des jeux de cartes, de société, on discute. C’est un vrai moment de partage et de fraternité. En fait, je pense que eux nous apportent bien plus que ce qu’on peut leur donner. Ils nous donnent une espérance et une force de vie et en plus, vraiment des moments de forte fraternité, des vraies relations, fortes et entière, faites de vraie humilité. Cela apporte énormément, et ça répond à certaines questions que l’on peut se poser sur la vie. C’est vrai qu’ils nous invitent à nous engager plus fortement contre la misère, car elle est pas seulement matérielle mais elle est surtout affective et relationnelle. Ce sont des gens qui sont en grande détresse, et c’est vrai qu’il y a des moments de violence, d’intolérance, des fois entre eux, des fois contre nous, donc c’est pas non plus très facile. Mais c’est quand même des moments très privilégiés qu’on a avec certains. Au sein de l’équipe St Vincent de Paul, j’ai aussi rencontré des gens très dévoués, et je suis très admirative car elles sont très bénévoles, et cela m’a permis de m’intégrer dans une équipe. Pour l’avenir, en fait, je pense que de plus en plus de jeunes s’engagent, il y a beaucoup d’associations, il y a des artistes, cela permet de garder l’espoir. Il y a quelque temps, sur Internet, j’ai retrouvé une phrase de Mère Teresa, je terminerai par ça. Un journaliste lui posait la question de savoir ce qu’il faudrait changer dans le monde et dans l’Eglise pour que cela aille mieux, et elle a répondu : « Mais ce qu’il faut changer, c’est vous et moi ».


Jean-Michel PUYAU

Merci beaucoup. Par tous ces témoignages, on a vu que quelque chose pouvait bouger et que chacun avait des projets, et envie de faire en sorte que ça change.


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Débat : 


M. Laspalles

Ce n’est pas une question, c’est un grand merci à tous, tant les expériences dont ils nous ont fait part appellent de question intéressantes. Que ce soit sur le plan de relations très personnelles, ou pour les témoignages qui concernent de grands problèmes. J’avoue que la seule chose qui m’a un peu déçue, c’est quand vous avez dit que la réduction de la dette des pays sous-développés était quelque chose qui apparemment ne passionne pas les foules. C’est malheureusement exact, alors qu’il s’agit d’un des problèmes fondamentaux de notre époque, qui conditionne très largement tout l’avenir de la planète et pas seulement de l’Europe ou de notre petite France. Mais je voulais dire avant tout merci aux uns et aux autres pour ces témoignages qui nous apportent une bouffée d’espoir pour l’avenir.


Question à Joëlle Merckaert

comment arrivez-vous à vivre la tension qu’impliquent les divergences que vous constatez entre les vœux des gens et l’intérêt général. Et comment arrivez-vous, étant vous-même fonctionnaire, et travaillant pour la mairie, à faire émerger et à accompagner une parole des habitants sans qu’elle soit instrumentalisée, à la respecter et à la faire vivre ? Les migrants sont souvent victimes d’une déstructuration forte. Le fait d’être éloigné de ses attaches, de ne pas parler français, … Comment arrivez-vous à faire remonter et à prendre en compte une véritable parole d’habitant ?


Joëlle Merckaert

Je n’y arrive pas ! (rires). J’essaie, mais si j’avais la solution, je vous l’aurais donné tout de suite. Votre question est exactement celle que je me pose tout le temps, et j’essaie d’être vigilante. Le cœur de mon métier, pour moi, ce sont les habitants et ce n’est aps exprimé de la même manière par des politiques, des spécialistes, par le préfet, donc là c’est vrai qu’il y a une tendance permanente. Comment j’arrive à la vivre ? Je ne sais pas si c’est comme ça dans toutes les mairies, mais l’équipe « politique de la ville », on est en général tous animés par ce même esprit de travailler pour les habitants. Et il se trouve que j’ai de grandes relations de confiance avec l’équipe de professionnels avec laquelle je travaille, et notamment avec le maire, et d’autres élus. Je serais incapable de leur cacher ce que je pense, et j’ai dû outrepasser souvent mon devoir de réserve, mais je suis obligée de le faire souvent. Donc ils me connaissent et savent qu’ils ne me feront pas faire n’importe quoi. ET je sais que je ne le ferai pas non plus. Mais j’ai évolué, parce qu’entre le discours sécuritaire d’un maire parce que ça ramène des votes, entre un discours qu’il pourra avoir, et finalement une fois qu’on le connaît un peu, il a le principe de réalité, il sait qu’il pourra tenir tous les discours politiques qu’il voudra, il a toujours des habitants dans son quartier et il travaille aussi pour eux. A la limite, je suis entrain de découvrir qu’il y a beaucoup de choses dans le discours, mais dans la réalité, on travaille tous un peu de la même manière même si on l’enrobe d’un discours un peu différent. Je suis pourtant sûre que je me reposerai souvent ces mêmes questions.


Question à Jean Merckaert :

Il nous a donné des pistes pour le développement du Tiers-Monde. Pense-t-il que le commerce équitable, dont on commence à entendre parler sérieusement, ne serait pas une manière pour les pays développés d’aider d’une manière réaliste les pays en voie de développement. On sait bien que si la grande distribution s’y intéresse, c’est qu’elle peut y trouver de l’intérêt, mais on sait aussi que les grandes causes se font à partir de motivations. En fait là aussi, nous avons indépendamment du rôle de citoyens, nous avons aussi un rôle de consommateurs qui était aussi évoqué par Christophe Sartre. Et je voudrais savoirs s’il pense que le commerce équitable pourrait contribuer à la cause qu’il défend.


Jean Merckaert : 

Christophe pourra compléter ma réponse. Ce commerce soulève des espoirs énormes et bien fondés, un commerce au service de l’homme et qui respecte la dignité des producteurs… Cela dit, je ne pense pas que le commerce équitable ait vocation de se substituer au commerce traditionnel, mais qu’il vaut surtout par la pression qu’il exerce sur les filières traditionnelles et qu’il peut faire prendre aux consommateurs qu’ils ont un rôle à jouer, qui dépasse le rôle de simple acheteur, mais qui consiste à demander des garanties sur les produits qu’il achètent et qui ne se traduit par forcément par un label sur le produit, mais qui peut se traduire en demandant à leur fournisseur de chaussures de sport l’engagement de respecter les droits de l’enfant. C’est la dynamique qui me semble intéressante, que les consommateurs prennent conscience de ce rôle par rapport aux chaînes de distribution. C’est là que le lien peut être fait avec l’agriculture biologique.


Christophe Sartre : 

Tous ces actes de consommateurs, il faut aussi qu’ils deviennent des actes de citoyen. L’acte de consommateur, il faut chercher derrière ce que ça veut dire. On peut aller chercher en Chine des habits faits par de petits enfants qui travaillent à l’âge de 5 ans. Je ne crois pas non plus que le commerce équitable puisse remplacer le marché classique, mais qu’il peut faire prendre conscience au consommateur que derrière le café, il y a un petit Colombien qui souffre. C’est pareil pour le bio, bien que les clients ne voient souvent que le prix un peu plus élevé. D’autre part, que la grande distribution s’y intéresse est plutôt positif. C’est une chance : ils assurent 80 à 90% de la distribution en France. Nous, on vend à la grande distribution et on en est satisfaits, parce que si on veut répandre ces concepts et ces labels, cela ne peut passer que par eux. Donc, qu’ils se l’approprient, ce n’est pas grave, puisque tout le monde est au courant et peut en profiter.


Jean Merckaert : 

Je voulais juste ajouter un élément de réponse. Si l’on prend l’exemple du pétrole, on n’aura jamais de filière commerce équitable ! mais une réponse complémentaire résiderait en une démarche de citoyen et une régulation politique. Il faut des normes éthiques et environnementales auxquelles de telles entreprises soient obligées de se conformer. 


Question à Valérie Dejeanne :

Vous êtes un grand point d’interrogation pour beaucoup de monde ce soir. Et comme vous avez parlé moins que les autres.. Comment devient-on Valérie ? Est-ce que vous pourriez nous raconter une journée typique, comment vous organisez votre temps, quel temps vous donnez à ces personnes, et comment vous arrivez survire vous-même ?


Valérie Dejeanne :

Je donne une après-midi par semaine. Comment je m’organise ? Quand on a envie, on y arrive toujours. Je ne sais pas comment vous expliquer. Tous les Jeudis je vais à wwwxxx autrement je vais visiter uen dame tous les 15 jours environ. Je passe pas mal de temps dans mon métier, qui est la restauration. Cela me permet de m’épanouir complètement. J’étais quelqu’un d’assez intolérant, et depuis que je fais ça, je relativise sur plein de choses. Je fais ça avec mon cœur, tout simplement. Aussi, pour aider, parce que parfois on a des doutes et de grands moments de solitude, on a des groupes de parole dans l’association, tous les mois, les bénévoles se rencontrent, les psychologues sont là pour nous aider, on discute de nos interrogations, de ce qui nous a interpellés, de ce qui a été superbe, parce qu’il y a des moments merveilleux. A l’Ormeau, il y a au 3ème étage un salle où les familles attendent lorsqu’il y a des soins. J’ai pu discuter avec elles car elles peuvent être tendues, anxieuses, en interrogation sur plein de choses, et donc je discutais avec elles. Il y a aussi l’accompagnement des personnes en deuil. Je ne m’en occupe pas. Quand on va à l’Ormeau, on ne sait pas qui on va rencontrer. Une fois, j’ai rencontré une dame de mon âge, je l’ai vue aller vers un malade en fin de vie, ça a été pour moi difficile, car il y a un effet de miroir, car chez moi cela avait été très vite, je me suis dit « Cela aurait pu être moi ». Donc, des moments très difficiles, dramatiques. Mais les gens apportent tellement quand on va les voir comme ça que trois jours après la vie est belle… Je le dis comme ça !


Jean-Michel Puyau :

Une question à tous. Est-ce que vos amis, vos copains, partagent vos engagements ou bien est-ce qu’ils vous trouvent un peu bizarres ?


Valérie Dejeanne :

Un peu bizarre ! J’ai un ami qui ne veut absolument pas parler de ce que je fais. Aller voir des gens qui vont mourir, quelle idée ! C’est une perte de temps. Par contre j’en ai d’autres qui comprennent. Mais je n’en parle pas beaucoup. Je ne fais pas ça pour en parler. C’est tout de même assez intime. J’ai mes copines, à l’association qui sont venues me soutenir ce soir, mais les gens que je côtoie intimement ne sont pas tous au courant, ou alors c’est juste comme ça.


Christophe Sartre :

Mes amis comprennent bien ma démarche, ils ne la trouvent pas bizarre, c’est de l’agriculture, quoi ! (rires)


Jean-Michel Puyau :

Tu étais un doux rêveur, à un moment donné.


Pascale Tujague :

J’ai des amis qui sont au courant de ce que je fais. Et d’autres, tu sens que… Ils savent que je suis aux équipe Saint-Vincent, mais ils ne s’intéressent pas plus que ça. Ils se disent qu’il y aurait peut-être quelque chose à faire, mais ils ne sont pas très curieux…


Jean-Michel Puyau :

Le dimanche après-midi, il y aurait tout de même autre chose à faire…


Pascale Tujague :

C’est peut-être pour cela aussi ! Ils ont des week-ends très occupés.


Joëlle Merckaert :

Je crois qu’avec Jean, on a aussi passé pour le couple qui se battait pour la justice dans le monde. Du coup, on a souvent eu cette réputation, c’est un peu chiant ! (rires) Les gens s’arrêtaient sur : vous êtes les deux idéalistes, vous allez changer le monde, on y croit tous et puis voilà… Mais à la limite, ils disent comme ça pour rigoler, mais c’est vrai qu’on est un peu caricaturaux tous les deux, donc je comprends … Mais les gens comprennent. Ils se sont dit qu’on était des grands voyageurs, ils n’ont pas forcément chercher à gratter ce qu’il y avait derrière nos voyages. Une semaine après être rentrés de Colombie, pour eux, ça y est, on était rentrés, on passait à autre chose. C’était un peu dur, parce que nous on avait beaucoup plus qu’en parler 2 – 3 fois. Mais on a aussi de bonnes discussions…


Jean Merckaert :

Oui, nos copains nous connaissent, ils s’attendent toujours à ce que je leur sorte une pétition de derrière les fagots (rires). Il y en a qui rigolent, d’autres qui respectent assez le fait qu’on cherche à rester cohérents avec nos idéaux, que c’est pas tout le monde qui fait comme ça et qui nous respectent assez. J’ai un copain qui dit : « A force de changer le onde, d’ici 20-30 ans tu y seras arrivé, et je serais bien embêté, à force de nous bluffer comme ça, qui sait ? ».


Jean-Michel Puyau :

La question, on dit : les jeunes aujourd’hui on les voit plus, ils ne s’intéressent plus au politique, ou alors c’est ponctuel. Une fois ils vont défiler mai après c’est terminé, le champ social, ils ont déserté, la vie associative. Vous, est-ce que vous diriez la même chose ou est-ce que vous considèreriez que ce que je viens de dire n’est pas vrai.


Joëlle Merckaert :

Je ne serai pas trop d’accord ; A Villeneuve, toute l’équipe de politique de la ville, on a tous moins de 30 ans. Dans les associations, il y a beaucoup de jeunes qui se mobilisent. Il n’y e na pas assez. Dans les cités, les gens ont trop pris l’habitude de dire : « On ne bouge pas tant qu’il n’y a pas de subventions », je troue cela regrettable. Il n’y a pas assez de jeunes qui se bougent tout seuls. Ils vont tout de suite chercher les crédits là où il y en a alors qu’il y a des tas de choses à faire avant, mais ceci dit, je pense que les jeunes se bougent. Si vous allez au forum social, vous allez voir beaucoup de jeunes. Donc c’est une forme d’expression aujourd’hui qui n’est pas forcément celle qu’on aurait prise. Il y a avait beaucoup de jeunes au Larzac. Cela pose question. Tout n’est pas forcément à 100% bien, mais il y a un potentiel qu’il faudrait réutiliser.


Jean Merckaert :

Il y a un phénomène aussi qui me marque dans les dernières années, il y a une multiplication de 3èmes cycles sur le développement, pour les politiques sociales, le développement du tiers monde. Il doit y avoir 1000 ou 2000 personnes qui passent par ces 3ème cycles par an, notamment sur les questions du tiers-monde. Le marché du travail est très limité, je pense donc que cela traduit une aspiration d’énormément de jeunes d’avoir un cohérence avec leurs idéaux. Beaucoup de gens disent : travailler dans l’entreprise…, pour faire du bénéfice…, au profit de je sais pas qui…, il y a beaucoup de gens qui ne trouvent aucun sens à cela et qui ne veulent pas passer leur vie à essayer de grimper des échelons au sein d’une entreprise qui changera d’un jour sur l’autre sans u’ils le sachent. Il y a une aspiration  chez beaucoup de gens d’avoir une vie en cohérence avec ce à quoi ils croient. Cela ne passe pas forcément par des engagements traditionnels, un peu partisans. Il y a de la lassitude par rapport aux partis traditionnels, et même par rapport à certaines ONG installées, je pense au réseau du CCFD ou du Secours Catholique, la majorité des gens y est plutôt vieillissante, mais il y a tout un tas d’autres associations qui se créent et qui sont extrêmement jeunes. J’ai cité Droit au Logement, avec des formes d’action un peu radicales, un peu coup de poing, qui mobilisent pas mal de jeunes.


Question :

Une petite question à tous. J’ai 26 ans, et pour moi le monde associatif fait beaucoup de choses très bien, mais chacun de son côté, il y a un manque de communication et de relation entre les associations. Qu’en pensez-vous ?


Valérie Dejeanne :

Tu as raison. Il y a plusieurs associations pour les mêmes causes, mais qui ne se rejoignent pas assez. Cela dépend pourquoi.


(plusieurs interventions se répondant dans la salle, plus vite que le transport du micro. Elles portent sur le rôle des associations, le rapport pays riches / pays pauvres, la nécessité de faire l’Europe)


Jean Merckaert :

Je suis d’accord avec ce point de vue salutaire. Maintenant, on ne parle plus beaucoup de développement, on parle de réduction de la pauvreté, tous les pays pauvres sont censés faire un document stratégique de réduction de la pauvreté, DSRP, on dit aussi CSLP, Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté, c’est le jargon du FMI et de la Banque mondiale. Ces pays sont censés faire là un cadre intégrateur des différents aspects de leur lutte contre la pauvreté, et en fait, par rapport au fait qu’on est des pays riches et même trop riches à bien des égards, et en tout cas qui ne partagent pas assez, on se disait à quelques uns qu’il faudrait faire des plans stratégiques de réduction de la richesse dans divers pays, et que finalement ça ne nous ferait peut-être pas de mal. Enfin dans l’idée d’une croissance plus durable, d’un modèle de développement plus respectueux des ressources qu’on a autour de nous.


Question :

Il y a 30-40 ans, la France était agricole. Et je me demande quelle action les agriculteurs bio ont en direction des jeunes de 15-20 ans pour leur dire … Est-ce que vous présentez l’agriculture bio comme une solution pour les jeunes de pays agricoles comme une solution pour rester au pays et que ça soit une alternative à ces exploitations de plusieurs centaines d’hectares et tenues avec 3-4 personnes et d’énormes machines. Avez-vous une action d’information et de formation avec les jeunes ?


Christophe Sartre :

En parallèle du monde économique il y a un monde associatif recouvert par des SIVAM, des associations de développement du bio et il y en a un dans le Landes, on fait de la vulgarisation, on montre aux gens ce que c’est que la bio, les perspectives qu’ils ont, l’alternative possible comme vous le dites . Le problème après, c’est que moi j’en ai reçu un ce matin qui me dit : « oui, c’est bien, il faut y aller », mais ils sont pris dans un tel carcan d’endettement du système conventionnel que se désengager.. Ils sont surendettés, ils ne peuvent pas.. Je les plains, car ils ont déjà achetés des tracteurs de 300 CV qu’ils doivent rembourser pendant 20 ans, donc c’est difficile. Moi, j’ai eu la chance de démarre en ayant rien avant, mais passer du conventionnel au bio, c’est difficile. LA PAC favorise malgré tout les grosses exploitations puisque les primes sont distribuées à la surface. Plus vous avez de la surface, plus vous avez de subvention. C’est une affaire de volonté politique parce qu’en Italie aussi, il y a eu un développement de la bio, mais en 10 ans, il a explosé. Il y a des gouvernements qui donnent des aides. Moi, j’ai eu des aides pendant 2 ans, qu’on appelle « aides à la conversion » qui étaient dérisoires, de l’ordre de 10 à 15.000 francs par an, pour convertir une exploitation, et depuis je n’ai plus aide. Il n’y a pas de PAC, j’ai des céréaliers à côté de moi qui font 200 ou 300 hectares, et qui touchent 3.000 F à l’hectare de prime, avant même de monter sur le tracteur. Ils n’ont pas encore commencé à travailler… C’est une décision politique. On dit « on aide les petites structures pour revitaliser le territoire » mais cela ne peut se faire sans une volonté, jouant ici au niveau européen. Il va y avoir une remise en question de la PAC, on va voir … J’ai peur qu’avec le lobby des groupes et des syndicats, ce soit de l’environnement déguisé qui profitera encore aux grosses exploitations, puisque c’est eux qui sont représentés.

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