Quinzaine 2008 :

La parentalité dans notre société


Vendredi 7 nov

Evolution des rôles parentaux


Colette SABATIER,

Professeur de Psychologie, Université Victor Segalen

3, ter  place de la Victoire   33076 Bordeaux

Colette.Sabatier@u-bordeaux2.fr

Evolution des rôles parentaux


La parentalité, un mot apparu il y a un peu plus d’une dizaine d’année a fini par s’imposer dans le langage du législateur, des sociologues et des divers intervenants sociaux, en substitution au concept de famille pour marquer probablement les évolutions de la famille et des nouveaux rôles des parents. Par ce mot, on tente de se dégager de la conception de la famille en tant que structure pour se centrer essentiellement sur la fonction des parents et du rôle des adultes auprès des enfants. 

En soi, cette approche souligne l’évolution des familles, des parents et du lien parent-enfant qui s’inscrit dans un vaste mouvement social opéré progressivement depuis plus d’un siècle et qui a conduit à réinterroger les liens entre l’institution familiale et les individus, à réinterroger les liens sociaux. 

La famille la première institution sociale en évolution 

Depuis la fin du 19ième siècle, le regard des sciences sociales sur la famille et ses liens avec les individus a oscillé autour de différents pôles. Certains ont considéré la famille en tant qu’institution sociale comme une entrave à l’épanouissement des individus, alors que d’autres se sont attardés, au contraire, à présenter le lien précoce et exclusif avec la mère comme son fondement incontournable.

A la suite des propositions de Friedrich Engels (1884) qui a vu la famille des sociétés capitalistes comme le lieu de la normativité des individus, la famille est perçue comme une institution sociale dont il convient de s’affranchir tant pour les sociétés qui veulent se transformer et que pour leur bien-être des individus, des expérimentations sociales, dont on ne parle plus guère, ont eu lieu. Parmi elles, Hélène Carrère d’Encausse (2005) décrit dans les débuts de l’époque stalinienne un encouragement des enfants à dénoncer leurs parents accusés de refuser les changements prometteurs de la « nouvelle » société, ou encore les expériences de certains éducateurs imprégnés de la psychanalyse à ses débuts ont voulu se substituer aux parents envisagés comme trop oppresseurs en laissant plus de liberté aux enfants (cf Meyer et al. 2005). Ces expériences se sont malheureusement soldées par des échecs. En URSS, il est devenu évident que les parents constituaient un premier palier essentiel de contrôle social et que sans ce palier la société devenait incontrôlable. Et pour les psychanalystes, des réflexions plus approfondies sur le développement des enfants et de leur importance du lien étaient nécessaires, notamment une réflexion sur les apprentissages précoces et l’importance du contrôle. 

A la moitié du 20ième, des psychiatres psychanalystes, tels Spitz, Winnicott, Bowlby constatant les dégâts psychologiques et physiques sur les enfants élevés en orphelinat et ceux qui avaient souffert de la déprivation maternelle, ont étudié le lien mère-enfant. Leurs travaux ont rejoint ceux des éthologues qui ont travaillé sur le lien précoce entre les petits et leur mère, tels Konrad Lorenz, célèbre avec ses canetons et les travaux de Harlow rendu célèbre par ses travaux sur les singes rhésus et les mères de fer ou les mères de peluche. L’ensemble de ces travaux a conduit les chercheurs à insister sur besoin primordial, et non secondaire comme le pensaient les psychanalystes de l’époque, d’attachement à la mère. Bowlby reprenant les idées de son époque sur les rôles au sein de la famille a avancé l’idée du besoin d’un attachement à une seule personne, la mère. Il a ainsi parlé dans ses premiers travaux des années 1940 et 1950 bien avant son livre sur l’attachement de monotropisme maternel, c'est-à-dire de besoin primaire de s’attacher à la mère seulement. La mère étant vue comme le pôle essentiel irremplaçable de structuration de la vie psychique de l’enfant. Winnicott a renchéri en parlant de « préoccupation maternelle primaire » pour décrire l’aptitude de la mère de se consacrer émotionnellement à son enfant particulièrement dans les tout premiers mois. 

La nécessité de l’enfant de s’attacher précocement à des adultes signifiants et dévoués a été confirmée par de très nombreux travaux, mais très rapidement les idées du monotropisme maternel et des aptitudes innées ou biologiquement marquées de la mère ont été remises en question. On a ainsi rapidement montré que le petit enfant pouvait dès les premiers moments de sa vie être attaché à plusieurs figures d’attachement, particulièrement avec le père, sans aucune difficulté ou retard et aucune conséquence ultérieure (Schaffer & Emerson, 1964) et des féministes tels Elizabeth Badinter dans son livre « L’amour en plus » ont montré que l’instinct maternel est plus une construction sociale, un fait d’époque qu’une donnée « naturelle ». 

Le rapport entre les familles et les institutions sociales autour de l’éducation de l’enfant en évolution 

Au fil du temps les rapports des familles et des autres institutions sociales autour de l’enfant se sont transformés. Les premiers moments de l’histoire de l’école ont été marqués par la volonté des Etats d’offrir à tous les enfants les mêmes chances d’éducation, donc de se substituer aux familles dans le rôle de l’éducation des enfants. En 1882, la mission de l’école gratuite laïque et obligatoire de Jules Ferry était de former des citoyens en éduquant les enfants et en offrant à tous les enfants quels que soient leurs milieux sociaux les mêmes chances. La mise en place systématique des écoles maternelles à la fin des années 1950 relève de la même volonté de se substituer aux familles qui n’assument pas pour diverses raisons leur rôle. Si ce rôle de l’Etat pour garantir à tous une éducation est primordial et constitue une avancée sociale importante, le rôle de la famille est apparu essentiel et finalement incontournable, et à partir de 1989, les parents d'élèves deviennent en principe des partenaires à part entière de la communauté éducative et avec la loi de la rénovation sociale de 2002, les parents et les familles sont au cœur des dispositifs de soins et d’action sociale. Toutes ces lois expriment des changements importants dans les rapports des institutions sociales et de l’institution familiale. Elles impliquent des ajustements importants entre les professionnels ou les experts et les familles. On doit reconnaître que le chemin est encore long, car il n’est pas toujours facile de mettre des certaines familles qui ont besoin d’aide et d’encadrement au cœur du système et qu’il est difficile pour les familles de comprendre les codes et logiques institutionnelles avec leurs rapports de force internes et leurs codes. 

Une révision des rôles au sein de la famille

Des relations statutaires au lien social 

A partir de la deuxième moitié du 20ième siècle, dans de nombreux pays occidentaux, particulièrement en France, l’institution familiale s’est considérablement transformée avec, en 1965, la suppression de la tutelle maritale (les femmes peuvent désormais travailler sans avoir à demander l’autorisation des parents), puis, en 1970, le remplacement de la notion de chef de famille par celle d’autorité parentale dont il a été précisé, en 1993, que l’autorité parentale était conjointe. D’autres lois sont venus favoriser une égalité des rôles au sein de la famille en facilitant le lien plutôt que les rôles structurés à partir d’un statut hiérarchique, par exemple, en 1975, le divorce par consentement mutuel, en 1983, l’égalité homme-femme aussi bien professionnelle que dans la gestion des biens de famille. La loi sur le code des personnes et de la famille a réaffirmé ces positions notamment en ce qui concerne la notion d’autorité parentale conjointe, en énonçant clairement les droits des pères séparés concernant leurs enfants. On est ainsi passé des liens statutaires au sein de la famille à celle du lien social avec égalités des devoirs et des droits des deux parents. 

Des enfants désirés 

Dans le même temps, le rapport à la procréation s’est considérablement transformé. Une série progressivement orchestrée de lois et de mesures est venue favoriser une procréation et une sexualité librement consentie et responsable. Certaines ont été acquises de haute lutte et de nombreux débats, d’autres sont passées plus facilement. Dans l’ensemble, les arguments qui l’ont emporté vont dans le sens d’une sexualité responsable et d’enfants désirés. La première loi importante, celle qui a jeté les bases officielles de la contraception, est celle de Neuwirth en 1967 qui en abrogeant la loi de 1920 interdisant toute contraception, a permis au planning familial d’opérer au grand jour. C’est l’argument du besoin des enfants d’être désirés et accueillis par leurs parents qui a convaincu le Président de Gaulle pourtant réticent du fait de ses convictions religieuses et éthiques. La circulaire Fontanet de Juillet 1973 constitue une autre base de cette transformation du rapport à la procréation. Cette circulaire a dressé les premiers cadres d’une information et une éducation sexuelle dans le respect total du rôle des familles pour la transmission des valeurs en les faisant reposer sur les connaissances scientifiques de la reproduction et en les inscrivant dans l’ensemble du dispositif pour l’éveil à la responsabilité. D’autres lois et décrets seront nécessaires par la suite pour affiner ces programmes. 

Les moyens accrus de la conception médicalement assistée mise au point dans les années 1970 et opérationnelle à partir des années 1980 ont également modifié le rapport à la fécondité en rendant possible la maternité pour tous. Cette dernière mesure, dont les avancées technologiques ne cessent de progresser et les combinaisons sociales grandissent en imagination, est et doit être encadrée par les lois d’éthique afin que le désir d’enfant reste pour le bien des enfants et de leur famille. 

« Des enfants si je veux, quand je veux »

Le slogan du mouvement français pour le planning familial dans les années 1970 « Des enfants si je veux, quand je veux » est maintenant mis en application par les Français. Tant les femmes que les hommes veulent et ont des enfants. La fécondité des femmes françaises de 2 enfants par femme est le plus élevé d’Europe (même s’il ne rejoint le seuil de 2,2 enfants par femme de reproduction des populations) avec beaucoup moins de femmes sans enfants qu'autrefois et moins qu'en Allemagne ou au Canada et surtout le plus stable depuis 20 ans. Il n’a pas connu comme les pays de l’Europe du Sud et l’Irlande de chute importante en dehors de celle de 1970 (2,49) à 1985 (1,89) qui correspond à la diminution des enfants non désirés mais qui n’a jamais atteint les seuils bas connus ailleurs avec des seuils parfois inférieurs à 1,3 (Régnier-loilier & Leridon, 2007). 

Ce nombre d'enfants correspond aux désirs des adultes en France, des hommes et des femmes. Lorsqu'on leur demande de dire de façon réaliste combien d'enfants ils veulent avoir les hommes comme les femmes donnent un nombre de 2 ou 3. Parmi les raisons d'avoir des enfants, 80% des adultes font référence au bonheur, à l'amour dans le couple et le désir de donner la vie, 50% parlent de transmission et seulement 30% invoque les conditions financiers et le coût des enfants pour ne pas avoir d'enfants (Toulemon & Leridon, 1999). En outre, l’enfant est vu comme le fruit d’un couple stable (marié ou non), 97% des femmes entre 15 et 44 sans enfant mais qui ont l’intention d’en avoir un jour estiment qu’il est « important » ou « très important » d’être sûr que le couple parental soit stable 

Les adolescents français adhèrent à cette valeur et ont parfaitement intégré ce schéma, ce qui permet de penser qu’il est probablement installé pour longtemps. Selon les données de deux recherches internationales auxquelles j’ai participé (Alsaker & Flammer, 1999 ; Mayer & Trommsdorff, 2005), les adolescents français expriment plus souvent que ceux d'autres pays occidentaux européens le désir d'avoir des enfants et de fonder une famille. Si certains d’entre eux (20% environ) disent qu’ils ne savent pas encore, ceux qui s’expriment annoncent un chiffre de deux ou trois, dans le cadre d’une relation stable et à l’âge habituel de la première naissance en France c'est-à-dire passé 25 ans. 

La structure familiale en France des enfants : 

Une nouvelle façon de faire famille 

La structure familiale française présente en comparaison avec les données des autres pays, quelques particularités qu'il faut souligner. Les unions libres sont nombreuses, surtout pour le premier enfant, si en 2006 50% des enfants naissent hors mariage (60% des premiers nés), la grande majorité des enfants sont reconnus par le père et seulement 6 % des enfants sont le fait de mères vivant seules sans reconnaissance du père. Par ailleurs, en 2005 30% des mariages viennent légitimer un enfant, autour de 6% jusque dans les années 70, ce taux a augmenté très progressivement depuis le début des années 80 (Insee, données démographiques). 

Le tableau ci-dessous montre que les familles monoparentales quoique trop nombreuses ne concernent que 15% des enfants. Si 40% des mariages se terminent par un divorce, le plus souvent entre la 3ième et la 6ièmeannée, les données de Barre (2003) indiquent qu'environ 30% des enfants ont connu une séparation de leurs parents. Cette donnée générale doit évidement être nuancée en prenant en compte l’âge de l’enfant, les adolescents ont plus de chance d’avoir vécu la séparation que les enfants plus jeunes, ainsi les données françaises (Insee, données démographiques françaises, 2005) montrent qu’à 5 ans 81% des enfants vivent avec leurs deux parents, 13% dans une famille monoparentale et seulement 3% dans une famille recomposée tandis qu’à 11 ans 73% vivent avec leurs deux parents, 18% dans une famille monoparentale et 9% dans une famille recomposée. Le décalage entre le pourcentage d’enfants qui ont vécu une séparation et le pourcentage de mariages qui finissent par un divorce s’explique par le fait que les couples sans enfants se séparent plus facilement que les couples avec des enfants de moins de 7 ans (Vanderschelden, 2006).

La structure familiale en France


1990

1999

Évolution




1990/1999

Nombre d'enfants vivant dans une….



(en %)

Famille “traditionnelle”

69,3

65,7

- 11,9

Famille monoparentale

11,4

15,0

22,2

Famille recomposée

7,3

8,7

10,8

enfants avec demi-frères ou demi-soeurs

5,0

5,8

1,1

dont : - enfants du couple actuel

2,6

2,8

1,2

- enfants nés d'une union précédente

2,8

3,0

1,1

enfants sans demi-frères ou demi-soeurs

2,0

2,8

33,4





Enfants vivant avec au moins l'un de leurs parents

88,0

89,4

- 5,6

Enfants vivant hors du foyer parental

12,0

10,6

- 18,0

Ensemble des jeunes de moins de 25 ans

100,0

100,0

- 7,0

Sources : enquêtes « étude de l’histoire familiale » 1990 et 1999, Insee. Insee première, 901

Selon Toulemon (2003), 10% des familles n’ont qu’un seul enfant, et 20% ont plus de trios enfants, autrement dit 70 % des enfants vivent dans une famille de deux ou trois enfants. 

Les «nouvelles » formes de familles sont-elles si nouvelles ? 

Au sein de tous les pays occidentaux, il existe en dépit du modèle de la famille constituée de la famille nucléaire avec un homme et une femme mariés avec des enfants, une certaine diversité des familles : les familles dite monoparentales, ou reconstituées, les familles dites homoparentales avec deux adultes du même sexe et des enfants dont l’un deux au moins en ont la charge, et les familles polygames. On peut aussi citer les familles qui incluent sous leur toit plusieurs générations ou la fratrie des parents. Parfois ces adultes sont de simples cohabitants, mais souvent ils agissent comme co-éducateur de l’enfant, notamment les grand-mères. 

Cette diversité a toujours existé. Les historiens décrivent en France une grande diversité de familles. Les situations d’union libre, plus fréquentes actuellement qu’il y a quarante ans, existaient à la fin du 19ième siècle début du 20ième dans les classes ouvrières, le mariage étant trop onéreux pour eux. De la même façon, il n’y a pas plus de familles recomposées qu’avant, ce sont les raisons qui ont tout simplement changé. La notion de famille monoparentale, apparue en tant que catégorie sociale identifiée par les pouvoirs publics dans les années 70 a elle-même évolué. En plus de 40 ans, elle est passée de 9,4% des ménages ayant un enfant de moins de 25 ans en 1968, le décès de l’un des parents en étant la raison principale, à 17% actuellement avec pour raisons principales à parts égales la séparation et le non-mariage. Les veufs et veuves qui représentaient 55 % des familles monoparentales en 1962 n’en représentaient plus que 11 % en 1999 et 7,5 % en 2004. Pendant la même période, la part des divorcé(e)s est passée de 15 % à 42 % celles des célibataires de 8 % à plus de 41 %. Ces changements sont allés de pair avec la féminisation de ces familles : alors qu’en 1962, 19 % des familles monoparentales étaient composées d’un père et de ses enfants de moins de 25 ans à charge, cette proportion s’est progressivement réduite à 15 % en 1982, puis à 14 % en 1990 et 1999. En Europe, ce taux varie de 8,1% en Espagne à 25% en Grande-Bretagne (Eydoux et Letablier, 2007). 

La solidarité le ciment des familles plus que le statut

Les familles françaises sont solidaires 

Les familles françaises sont solidaires. Les fêtes de Noël impliquent la plupart du temps trois voire quatre générations. Les familles s’entraident, elles échangent des biens, des services, des conseils, les liens affectifs sont importants. Elles sont proches et maintiennent de bonnes relations (Crenner, 1998, 1999). Les membres d’une même famille vivent dans un rayon de trente kilomètres. Les adolescents participent à cette solidarité familiale, ils voient aussi souvent que leurs parents les membres de leur réseau familial : parents, frères et soeurs, oncles, tantes, cousins (Blanpain, & Daniel, 2004). Les réseaux familiaux variant selon les milieux socioéconomiques sont composés en moyenne de vingt-sept personnes. Les réunions au sein du réseau familial sont confines au premier cercle de la famille, avec une préférence pour la ligne directe et une fréquence supérieure à une fois par semaine. 

La solidarité intergénérationnelle : un phénomène multiforme 

Bengston, un sociologue américain a étudié le lien intergénérationnel entre les parents et leurs enfants adultes au cours de six vagues de recueil de données réparties sur vingt-six ans. Il montre que des liens entre les générations assez importants s’exprimant sous des formes diverses remarquablement stables au cours des années. Il repère ainsi six formes de solidarités. La solidarité d’association se traduit par des contacts sociaux et des activités partagées entre les membres de la famille, la solidarité affective par de la proximité émotive des membres de la famille, la solidarité consensuelle par une perception partagée concernant les opinions, valeurs, et choix de vie entre les membres de la famille, la solidarité fonctionnelle par des échanges instrumentaux et financiers entre les membres de la famille, la solidarité normative se manifeste par des forts sentiments d'obligation entre les membres de la famille, la solidarité structurelle par la distance géographique entre les différents membres de la famille. Ces dimensions peuvent être indépendantes les unes des autres, bien qu’il est évident, par exemple, que les échanges de services ou le partage des activités se fait mieux lorsque les membres d’une même famille habitent à proximité.

En analysant les combinaisons de ces types de solidarités et leur répartition selon les familles, Bengston (2001) a dégagé cinq typologies (très unie, sociable, intime mais distante, d’obligation et détachée). Il a pu montrer également en sélectionnant les familles n’ayant qu’un seul des parents âgés vivant et en comparant les familles avec le père âgé ou la mère âgée, une inflexion des styles de solidarités selon le sexe de la personne âgées. Ainsi on observe plus de proximité affective lorsque la personne âgée est la mère que lorsque c’est le père. Il y a plus de familles unies et intimes lorsque la personne âgée est la mère plus de familles détachées lorsque la personne âgée est le père. 

Les recherches sur la solidarité familiale avec des personnes âgées montrent que rares sont les familles de ces personnes avec des enfants uniques. Les études analysent pourtant le plus souvent, pour des questions de faisabilité de la recherche, le lien entre la personne âgée et un de ses enfants, alors qu’en réalité les relations enfants adultes - personnes âgées sont plutôt le fait de fratries. Dans la fratrie, lorsque la taille de la fratrie le permet, ce sont les sœurs plutôt que les frères qui sont actives auprès de la personne âgée. Les études ont montré que les sœurs se regroupent autour de la mère et malgré des déménagements successifs dus aux carrières professionnelles, les sœurs finissent pas se retrouver dans des mêmes zones géographiques et elles s'organisent pour un partage des tâches auprès de la mère: c'est la "fronde des sœurs".

La solidarité une question plutôt féminine et asymétrique qui se transforme avec le cycle familial

Les recherches montrent toutefois que les solidarités familiales sont plutôt une question féminine et asymétrique. Le lien parent-fille est plus fort que le lien parent-garçon. Ce sont plutôt les filles qui s'occupent de leurs propres parents. Les personnes âgées se sentent plus proches de leurs enfants adultes que les enfants ne disent se sentir proches d'elles Les mères évaluent plus haut la qualité de la relation mère-fille que les filles, Les filles rapportent plus d'aide et de contact que ne le disent les mères. Ces perceptions asymétriques ont une fonction positive dans le lien mère âgée - fille adulte. La mère âgée garde alors un sens positif de soi en sauvegardant l’idée de son autonomie et en soulignant les liens affectifs avec ce qui lui reste de son premier cercle social. Tandis que la fille adulte sauvegarde son autonomie psychique et la possibilité de répartir ses investissements affectifs et pratiques avec ses collatéraux et ses descendants. 

L’analyse des liens intergénérationnels avec les personnes âgées, entre les grands-parents et les petits-enfants et des parents avec des jeunes adultes particulièrement les étudiants et ceux qui commencent à se lancer dans la vie active montre que les liens de solidarité sont stables au cours de la famille, mais ils évoluent avec le cycle de la famille, c'est-à-dire les transformations inhérentes avec l’âge des enfants et des parents. Deux familles coexistent au sein de tous, la famille d’origine, celle de nos parents et ascendants et la famille de procréation, celle de nos descendants. La femme de cinquante - soixante ans navigue et doit naviguer entre ces deux familles, ses parents qui peuvent avoir besoin d’elle et ses enfants en général adulte ou jeunes adultes et ses petits-enfants. Ces deux familles sont toutes les deux importantes mais n’éveillent pas tout à fait les mêmes sentiments et n’impliquent pas les mêmes obligations et contraintes. 

Le père un rôle à penser sérieusement 

Avec toutes les transformations de la famille et la réaffirmation de son importance en tant qu’institution sociale, le rôle du père et de son lien avec les enfants est à re-penser. Ce n’est plus ni la « loi du père » de Lacan ni le pourvoyeur, les droits et devoirs du père et de la mère sont selon la loi égaux. Pourtant, actuellement force est de constater, l’investissement des pères auprès de leurs enfants est « statistiquement » faible. Les hommes sont moins nombreux que les femmes à s’impliquer quotidiennement dans des activités directes avec leurs enfants. Lorsqu’ils le sont, le temps consacré aux enfants est nettement moins important que celui des femmes (du simple au double). En outre, 50% des hommes séparés ne s’occupent que très épisodiquement de leurs enfants voire pas du tout. 

Le lien père-enfant ne repose pas sur les mêmes prémisses, il n’est préparé ni biologiquement ni socialement à ce nouveau rôle comme le sont les femmes. Les données statistiques montrent une évolution importante avec le temps, mais qui ne rejoint pas encore le niveau d’implication des femmes. Des efforts doivent donc être faits pour penser et accompagner le rôle des pères. 

L’étude sur le lien mère-enfant montre l’importance capitale du soutien social à la mère qui vient d’accoucher et pendant les premières années de la vie de l’enfant. Ce soutien permet à la femme de passer à travers le stress relié à la maternité et aux demandes et contraintes venant de l’enfant. Avoir du soutien permet de se mettre à la disposition des besoins de l’enfant et de passer du statut de femme à celui de femme et mère. Parmi les personnes dont le soutien est essentiel on trouve le conjoint et ensuite la grand-mère maternelle. 

Les changements des rôles au sein de la famille qui a permis aux femmes d’accéder à une égalité, un remaniement de la conception du rôle du père doit être repenser. Il ne suffit pas de le voir comme un soutien à la mère, encore faut-il penser la façon dont le père et les enfants peuvent nouer des liens et cela dès les premiers moments de la vie et peut-être plus tôt. Doit-on envisager que le rôle du père et de la mère puisqu’ils sont en droit égaux, sont dans leur lien identique et interchangeables ? 

Jusqu’à présent toutes les recherches ont montré que les enfants peuvent être attachés aux deux parents et que les pères sont aussi capables d’avoir des comportements attentifs à leurs enfants qui favorisent l’attachement. Certaines recherches ont même analysé les capacités d’interaction triadiques des nourrissons de moins d’un an. Il en ressort néanmoins que les pères et les mères ont des sensibilités et des modes interactifs différents. La relation à l’enfant ne s’exprime pas sur le même mode. Cette diversité entre les parents semble favorable au développement des enfants qui ainsi apprennent un registre plus large d’interactions sociales (Le Camus, 2002). 

Le rôle du père à l’heure actuel des nouvelles façons de faire famille doit être pensé et repensé en allant au-delà de la répartition des rôles au sein du couple parental avec une vision biphasique du rôle du père, d’abord le soutien à la mère puis l’interaction avec l’enfant passé un certain stade, mais qui évite de penser en terme d’interchangeabilité des rôles. Le lien du père à l’enfant y compris du nouveau-né, et l’articulation des deux parents autour de l’enfant, ce que certains appellent la co-parentalité, méritent d’être mieux débattues et réfléchies.

Les « nouvelles » formes de familles, quelles implications pour les enfants ? 

Pendant longtemps les recherches se sont interrogées à propos de l’effet des structures familiales distinctes de celles de la famille nucléaire classique. La réprobation sociale voulait que les enfants de ces famille hors- « normes » soient en difficultés. L’argument trouvait sa justification par des observations de cas, des études cliniques ou des exemples dans la vie quotidienne. Les études qui ont systématiquement interrogé ces effets en tâchant de prendre en compte tous les paramètres des situations n’ont pas confirmé les effets dévastateurs sur l’enfant ni dans le cas des familles séparées ni dans le cas des familles homoparentales, les deux situations qui ont été le mieux étudiées. 

Les études sur les familles séparées montrent que les difficultés des enfants ne proviennent pas de la séparation en soi mais des circonstances et des conséquences financières et sociales entraînées par cette séparation. En effet, la séparation s’inscrit en général dans des contextes de conflits entre les parents parfois reliés à des difficultés de personnalité et émotionnelles d’au moins un des deux parents. Elle a pour conséquence une diminution importante des ressources financières disponibles pour l’enfant, d’une diminution du réseau de socialisation des enfants, les parents séparés voient moins souvent leurs amis avec leurs enfants, et les contacts avec la famille peuvent se réduire. La qualité de l’entente entre les parents qui respecte le fait que les enfants soient partagés entre deux parents et la stabilité des liens sont des clés pour l’adaptation harmonieuse des enfants. 

Les synthèses critiques des recherches avec des mesures objectives sur les enfants élevés dans des familles homoparentales féminines n’indiquent pas de problèmes spécifiques chez ces enfants, ni sur le plan de l’identité sexuelle, ni sur le plan du développement affectif et social ou de la réussite scolaire. Ces enfants ne se distinguent pas des enfants élevés dans des couples ordinaires (Julien, 2003). L’examen plus attentif de ces enfants montre qu’une bonne partie de ces enfants sont le fruit d’une première union biparentale qui aurait cessé du fait d’une nouvelle relation de la mère mais avec une femme avec qui elle cohabite. Ces enfants auraient donc connu une relation au quotidien avec leur père au cours de leurs premières années. Par ailleurs, les enfants des mères lesbiennes sont souvent désirés et leurs mères s’efforcent d’être attentives à leurs enfants et prennent soin qu’ils puissent côtoyer dans leur environnement des figures masculines signifiantes à défaut de pères. 

L’ensemble de ces recherches montre donc que ce n’est pas tant la structure familiale en soi qui peut causer problème que les circonstances qui entourent la famille et la qualité de la relation à l’enfant.

Un vade-mecum de la parentalité harmonieuse 

En somme, la façon dont les parents nouent des liens avec leur enfant apparaît comme fondamental et le cœur de l’épanouissement des enfants en tant que futurs citoyens responsables capables de tisser eux-mêmes des liens avec une famille future, bref de solidarité familiale et d’implication dans la société. Il apparaît alors que la construction du lien prime sur la structure familiale en elle-même avec une égalité sans qu’il y ait pour autant similarité des rôles du père et de la mère.

Les besoins des enfants sont multiples et le rôle des parents complexe. Ils ne sauraient se résoudre en quelques prescriptions et modèles à suivre, d’autant que les besoins des enfants varient avec l’âge, la taille de la fratrie, le contexte de vie de la famille. Les besoins des petits-enfants ne sont pas ceux d’un adolescent, ceux qui vivent dans des quartiers dit difficiles différents de ceux qui vivent dans des lieux de vie tranquille. Les recherches menées depuis plusieurs années sur les relations parents-enfants pointent cependant quelques dimensions qui apparaissent plus cruciales que les autres. Parmi elles, on peut signaler le climat émotionnel dans la famille (notamment le niveau de conflit), la qualité de la communication entre les membres, la disponibilité d’adultes auprès de l’enfant, la qualité de l’organisation pratique qui inclut la structuration dans le temps et l’espace et les routines les routines, ainsi que la richesse et la variété des expériences de vie ajustées aux capacités de l’enfant, incluant un réseau de relations sociales l’incluant, ex amis des parents, accès aux grands-parents et les autres membres de la famille. 

Le contrôle parental apparaît comme une dimension qui demande une réflexion particulière. Il y a quelques décennies, les intervenants sociaux, les éducateurs et les psychologues se sont efforcés de montrer aux parents l’importance du dialogue avec les enfants et de ne pas se reposer sur des rapports hiérarchiques statutaires, mais dans le même temps, les institutions sociales telles l’école ou les services sociaux avaient tendance à se substituer aux parents. Maintenant que les rapports au sein de la famille sont devenus plus égalitaires et que les familles sont plus impliquées dans les systèmes sociaux, la notion de contrôle social exercé par les familles devient plus cruciale. Les enfants, les tout-petits comme les adolescents ont besoin de repères et de pouvoir s’appuyer sur leurs parents. Le lien avec les parents est celui d’un ancrage. Celui-ci ne peut se faire que dans la confiance. Des parents en eux-mêmes, mais aussi la confiance mutuelle des enfants et des parents. Cette confiance se construit et déconstruit tout au long de la vie. Elle est plus facile à installer dans la petite enfance qu’au moment de l’adolescence. Le contrôle social des parents est particulièrement important pour les adolescents qui rendent gré à leurs parents de leur avoir clairement offert des repères. L’autonomie à l’adolescence se construit avec les parents et non contre eux. 

Le lien avec les grands-parents 

Avec l’allongement de l’espérance de vie, les enfants et adolescents qui connaissent au moins deux grands-parents et parfois même un arrière grand-parent qui vit de façon autonome sont relativement nombreux (Kerjosse, 2000). Les petits-enfants prennent pour les grands-parents un sens particulier. Cet attachement n’est pas nouveau, Victor Hugo en 1877 en a fait l’éloge dans son livre sur « L'Art d'être grand-père », il n’est pas non plus un phénomène réservé à l’espèce humaine. La présence de la grand-mère se retrouve également dans quelques espèces animales: les éléphants, les baleines et quelques primates.

Les grands-parents sont précieux en cas de pépin de leurs enfants divorce, difficultés financières, décès. Il n’était pas rare de voir les grands-parents prendre en charge le petit-enfant en cas de décès de la mère comme l’ont fait Freud et son épouse l’ont fait avec leur petit fils Ernst Freud à la mort de sa mère, ou accepter chez eux pendant un ou quelques années un petit-enfant adolescent en difficulté avec ses parents. Dans une recherche impliquant trois générations, nous avons observé que les valeurs éducatifs de la grand-mère exerçait une influence directe mais le plus souvent indirecte en influençant la mère sur les valeurs sociétales et familiales des adolescents et sur leurs modèles internes d’attachement (Sabatier & Lannegrand-Willems, 2005). 

En dehors de la suppléance parentale ou des influences indirectes sur les petits enfants, les grands-parents français sont actifs auprès des petits-enfants en retour ils en tirent du bénéfice (Attias-Donfut & Segalen, 2001). Ils offrent un autre type de relation à l’enfant que les parents, parfois plus affectueuse, parfois stimulante pour des activités différentes, parfois plus normative. Ils forment le ciment de la vie familiale élargie. C’est grâce à eux que les enfants rencontrent leurs cousins et cousines, oncles et tantes. Les grands-parents donnent de la profondeur aux relations familiales en rappelant la continuité culturelle de la famille et en présentant les parents sous un autre angle. En retour, s’investir auprès de leurs petits-enfants procure pour beaucoup de grands-parents, surtout ceux qui sont à la retraite mais qui sont encore jeunes, un souffle nouveau qui les gratifient en structurant une partie de leurs activités et en leur donnant un ancrage relationnel plus fort avec leurs enfants. Cela marque plus profondément leur inscription dans le lien familial. 

Conclusion

En dépit de toutes les transformations de ces quarante dernières années qui ont fait craindre à un éclatement du fait de la valorisation des individualismes rendant difficile la vie des groupes sociaux, les familles sont solidaires. Elles sont passées progressivement de la vision d’une famille organisée sur un mode hiérarchique avec une distribution des rôles à un mode relationnel fondé sur le lien. Les enfants sont désirés, attendus planifiés et comparativement à d’autres pays européens nombreux. Leurs parents sont modernes, ils vivent ensemble le plus souvent mais ne sont pas toujours mariés. Les familles monoparentales, les plus vulnérables ne concernent que 14% des enfants, et les enfants uniques ne sont pas la règle. Les différentes recherches sur les familles qualifiées parfois d’alternatives montrent que les circonstances et les conditions du lien ont plus d’implication sur l’enfant que la structure elle-même, ce qui oblige à approfondir la notion de parentalité et du lien parent-enfant. 

Le passage progressif du statut familial au lien social fondé sur le partage des rôles parentaux a besoin d’être accompagné et réfléchi. D’une part de nombreuses familles ne rencontrent pas les conditions de vie optimale (ressources financières et sociales, soutien social) pour assumer pleinement leur rôle de parents, d’autre part, la réflexion sur les nouveaux défis, notamment le rôle du père et la façon de répondre aux besoins des enfants de contrôle social s’avère nécessaire.