Mardi 17 Mai 2005
Table Ronde : Itinéraires de migrants
Xavera Ouimala, en France depuis 10 ans, originaire du Rwanda, 4 enfants, mère de famille.
Moammed Khoudar, en France depuis 24 ans, originaire du Maroc, professeur de statistiques à l’IUT de Pau, père de famille.
Teresa Wozny, en France depuis 17 ans, originaire de Pologne, traductrice et enseignante, mère de quatre enfants.
Marie-France de Saint Laurent, responsable de l’association « Urgence – Demandeurs d’asile ».
Jean-Luc Poueyto, de Pau, anthropologue rattaché à l’Université de Toulouse, et qui travaille spécialement sur la question de la mémoire et de la loi chez les gens du voyage.
La table ronde était animée par Germain Maps, journaliste à Radio-Présence.
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G. Maps :
Xavera, dans quelles conditions êtes-vous arrivée en France ?
Xavera :
Je suis arrivée en France en 1996, j’ai quitté le Rwanda à cause de la guerre, j’ai traversé le Zaïre, le Kénya et bien d’autres pays, et je suis venue ici pour demander l’asile.
G. Maps :
Comment s’est passée l’arrivée ?
Xavera :
Elle n’a pas été très facile. Heureusement que la France jusqu’à présent peut accueillir les étrangers, et je vis à la cité Solazur de Tarbes.
G. Maps :
Avec de quoi gagner votre vie ?
Xavera :
cCe n’est pas très facile, j’ai commencé par des formations, pour m’intégrer, j’ai pu obtenir un diplôme d’auxiliaire de vie sociale, mais avec cela je n’ai pas pu trouver de travail. Je travaille 3 heures par jour et c’est avec ces trois heures que je gagne ma vie
G. Maps :
Nous y reviendrons. Je voudrais vous entendre, M. Khoudar. Si je dis que vous êtes un exemple d’intégration , qu’est-ce que vous me répondez.
Mohamed Khoudar :
Je réponds oui dans un premier temps. Je suis arrivé dans des conditions très différentes. Je n’ai pas fui mon pays. J’ai eu une enfance heureuse dans une famille très modeste, dans un quartier de Casablance très pauvre, on jouait au foot, on faisait de la musique. J’avais un don pour les maths, donc j’ai pu faire des études, j’ai fait un 1ère et une Terminale « Mathématiques et Techniques », qui n’existe plus maintenant, et mes enseignants m’ont dit « Il faut que vous alliez en France ». J’ai eu une inscription directe pour venir ici à Tarbes faire Math-Sup / Math-Spé Technologiques. Je suis donc venu pour faire des études longues. L’accueil étai vraiment chaleureux. Les collègues de classe au Lycée Jean Dupuy n'ont vraiment accueilli à bras ouverts, j'étais copain de toute la classe ; j'étais le seul étranger, accueilli par tout le monde le week-end parce que j'étais à la cité universitaire. Tout le monde rentrait chez lui alors on m’invitait et j'ai passé deux années ici à Tarbes vraiment chaleureuses. Je n'ai pas senti de différence parce que je ne me posais pas de question sur la vie en France. J'étais ici comme étudiant, je ne compteais pas rester ; je pensais au retour car j’étais arrivé avec l'objectif de réussir par rapport à tout ce qu'on voit autour de nous au Maroc et donc on essaie de projeter nos avenirs. Au total, une vie normale et je n'ai rien senti à ce moment-là sur l'intégration. Je vivais modestement, difficilement. J’étais arrivé à Tarbes un Dimanche avec simplement un sac à dos, tout était fermé, je ne savais pas où aller et une personne qui passait m’a accueilli, chez lui puis au foyer de jeunes travailleurs… Donc pour moi, à ce moment-là, il n’y avait aucun problème d'intégration. Dans ces situations, on ne se pose même pas la question du regard de l'autre, on vit comme l’étudiant français.
G. Maps :
Et quant à vous, Teresa ?
Teresa :
Nous sommes arrivés cela fait maintenant 17 ans, en 88, mon mari et moi, pour demander l'asile politique en France. Nous avions déjà deux enfants qui étaient restés en Pologne, un peu en qualité d’otages : on ne donnait pas de passeport à toute la famille et nous avons fait venir des enfants quelques mois plus tard et ensuite. Nous avons eu ensuite deux autres enfants. Sur le plan asile politique, la demande a été bien posée, parfaitement justifiée avec un dossier en béton armé, mais à l'époque, nous n'avons pas eu la réponse dans les trois mois réglementaires. Cela a été repoussé de trois mois, de trois mois, de trois mois, jusqu'à 18 mois et la réponse quand elle est arrivée a été négative, ce qui était logique puisqu'à ce moment-là, en Pologne c'était la table ronde, le premier pas vers la démocratie, le changement de régime politique. Donc les raisons qui nous ont poussés à sortir de notre pays n'existaient plus. Et on s'est alors posé la question de savoir si on rentrait ou qu'est-ce que l'on faisait mais au moment de la table ronde, il était absolument impossible d'être certain que ça allait continuer dans ce sens démocratique. Heureusement ça a continué dans ce sens. Deux ou trois autres années plus tard, quand nous pouvions croire que la situation en Pologne avait été définitivement ou durablement changée, nous étions déjà un peu enracinés en France. Nous sommes restés et deux autres enfants y sont nés.
G. Maps :
J'aimerais bien vous entendre, Marie-Françoise Saint-Laurent, parce que vous avez pris un engagement dans une association, que vous allez nous présenter.
Marie-Françoise Saint-Laurent :
J’avais commencé par tisser des liens avec beaucoup de réfugiés et puis nous sommes restés amis nous avons continué à voir les difficultés qu'ils rencontraient pour s'intégrer (ce fameux mot français !), et depuis un an avec des amis parce que nous trouvons que les conditions d'accueil sont insuffisantes que ces gens ne sont pas suffisamment soutenus, nous avons créé une association qui s'appelle « Urgences Demandeurs d'Asile », basée à Tarbes c'est pour soutenir les gens qui ne sont pas aujourd'hui dans les centres d'accueil. Je veux vous donner un chiffre : il y a 65 600 personnes qui demandent en France en 2004 le droit d'asile. La France est devenue le premier pays d'accueil, pour multiples raisons. Seulement le 15 % de ses 65 600 sont pris en charge dans des centres d'accueil de demandeurs d'asile. Dans les Hautes-Pyrénées, cela représente 150 personnes pour 220 000 habitants. Les autres les autres sont éparpillés dans des centres dans des hôtels chez des gens à Tarbes ils étaient complètement éparpillés il arrivait que le mari soit dans un centre de la femme dans un autre chez Don Bosco ou dans des centres qui ne sont pas du tout habilités à les recevoir et à les aider et c'est pourquoi nous avons créé cette association pour les aider dans leurs démarches.
G. Maps :
Qu'est-ce qui a pu vous pousser à vous engager dans un travail et qui est quand même assez difficile. D'un côté et vous êtes affrontés à la détresse de ces personnes, et de l'autre un tas de relations administratives plus ou moins difficiles aussi.
Marie-Françoise Saint-Laurent :
C'est la guerre ! Ce qui nous pousse, c'est déjà l'amitié avec ces gens que nous avons vu arriver, qui nous apportent énormément, une fois qu'on les connaît, des Tchétchènes, des Bosniaques, qui ont tout perdu et qui vous accueillent avec une générosité, un besoin de vivre un monde. Je crois qu’à partir de cette expérience, on regarde la vie de manière très différente. Et puis je suis indignée : je suis très fière d'un côté que la France soit la première terre d'asile, mais d’un autre, je suis indignée par l'accueil qui leur est souvent réservé. Par exemple, sur les 65 600 demandeurs d'asile, on n'en accueillera que 19 %. Ces gens sont en France depuis un long laps de temps. Pendant un certain nombre de mois, ils n'ont pas le droit de travailler, ils ne comprennent pas le français, rien n'a été prévu pour le leur apprendre. À Lannemezan, le centre est complètement excentré, c'est une ancienne clinique dans lesquelles les conditions matérielles sont assez difficiles, et c'est tout le temps l’attente de la décision : est-ce que l'Office français de protection des réfugiés apatrides les acceptera ? Ça peut durer deux ans ; je connais des gens qui sont là depuis cinq ans, dans l'incertitude, dans les insomnies : « Qu'est-ce qu'il faut faire ? On peut pas travailler ». Ils apprennent le français grâce à des bénévoles. Ils se demandent s'ils doivent prendre racine. On voit des gens qui ont eu énormément d'énergie pour venir en France, pour trouver les passeurs, pour faire cette démarche de quitter tout ce qu'ils avaient chez eux et là, cette énergie dont on devrait se servir, c'est un ferment formidable quand on les connaît, cette énergie va être brisée par cette attente.
G. Maps :
Jean-Luc Poueyto, on a déjà dit depuis le début de cet échange un mot qui me semble important qui est celui de l'intégration. J'aimerais bien vous entendre là-dessus, surtout au regard du travail que vous faites avec les gens du voyage.
Jean-Luc Poueyto :
J'apprécie tout à fait les propos et de Marie-Françoise Saint-Laurent, pour travailler également avec des réfugiés politiques. Des Tchétchènes actuellement, avant, des Bosniaques. Il y a des parcours de vie bouleversants. , cela ferait 1000 films à grand spectacle et ces histoires-là sont en effet porteuses d'une énergie incroyable. Il y a un gâchis incroyable à ne pas prendre en compte la personnalité et l’énergie des exilés, leur histoire de vie, à se replier sur une sorte de petit égocentrisme confortable. Il faut savoir quand même que l'immigration a rapporté des gens comme Picasso, et énormément de personnes, je pense à toutes les migrations espagnoles pendant la guerre, qui ont amené tout un renouveau. La question de l'immigration est à distinguer un peu de celle de l'intégration concernant les gens du voyage. Je voudrais juste préciser qu'il y a un problème de terminologie : d'une part on va appeler tsiganes les sous-groupes manouches, gitans etc. Ce sont des appellations ethnologiques, qui relève de gros présupposés idéologiques. L'appellation gens du voyage relève, elle, de la loi, et en France, depuis 1912, il y a des lois qui sont inégales concernant les gens du voyage. La question de l'intégration se pose quand même là. Pourquoi un moment on les appelait les nomades jusqu'en 1969, pourquoi à un moment à l'État va établir un système de loi, un État républicain français qui est animé par un idéal d'égalité, a mis en place des lois qui vont faire que certains de leurs citoyens ne vont pas avoir les mêmes droits que les autres, au nom de leur mode d'habitat, car il n'y a rien d'autre. Dans les camps de concentration, ce n’étaient pas des « tziganes », mais des « nomades » (décret du 6 Avril 1940, avant Vichy). La France n'a pas interné de tsiganes, elle a interné des nomades, au nom de leur mode d'habitat. Il y a eu 40 camps de concentration dont un comme par hasard à Lannemezan, dans un ancien hôpital. Voir les travaux de Mme Guinle-Lorinet, universitaire à Pau. Et cette loi existe toujours, elle a été transformée en 69. Du fait qu’on vit dans une caravane, il faut avoir un carnet de circulation qu’on doit montrer tous les 3 mois aux autorités. Or ce sont des citoyens français.
Pourquoi un tel contrôle ? En fonction de quoi ? Du mode d'habitat, de ce qu'on sous-entend une race par derrière. Il y a quelque chose de très ambigu, et en tout état de cause le silence porté sur les actions de l'État français pendant la deuxième guerre mondiale vis-à-vis des nomades n'a jamais été reconnu. Il n'y a jamais eu d'excuse de l'État français pour ses agissements. Le fait que par la suite, on continue à refaire des lois républicaine puisqu'inégales, qui ont été conforté par les lois de Sarkozy récemment, font qu'il y a une sorte d'illogique de no man’s land par rapport à la logique républicaine. Auquel cas l'intégration rencontrera un problème problèmes énorme, c'est celui de la loi.
G. Maps :
Donc vous mettez le doigt déjà sur des contradictions très fortes, dans les termes mêmes de la loi.
Jean-Luc Poueyto :
Oui, et l’intégration se heurte d’abord à la loi, parce que la loi est relative aux gens du voyage, mais les gens du voyage sont définis par leur habitat traditionnel. Cette appellation ne connaît pas le singulier. On n'est pas « un gens du voyage » donc automatiquement on vous renvoie à une communauté. C'est donc bien que par derrière on sous-entend qu'il y a une ethnie. Une on ne dit pas parce que en république française on ne désigne pas les ethnies. D'autre part l'habitat traditionnel : que vient faire le terme tradition dans une loi française ? La tradition, cela renvoie encore à une culture d'ordre communautaire.
G. Maps :
Alors, quand on vous parle d'intégration, pour vous, qu'est-ce qu'elle veut dire puisque, comme vous le dites très justement, il faut s'entendre sur les mots. Intégration, mais à quoi ? A une notion ? A un peuple ? A une culture ? A autre chose ?
Jean-Luc Poueyto :
A tout ça à la fois. C'est très compliqué, chacun prend à sa petite part, le fait comme un bricolage, s'adapte. L'intégration, ce n'est pas l'insertion. L'insertion est un acte extérieur, on insère quelque chose, on insère un objet dans un tout. Tandis que l'intégration, ce sont des personnes qui s'adaptent, par des phénomènes qu'on appelle l'acculturation, ce qui ne veut pas dire perte de la culture, mais aller vers la culture ;c'est une sorte de bricolage, c'est à dire qu'on va prendre un peu de la culture, la transformer quelquefois un peu, comme on l'entend, et s'adapter, comme ça, comme on fait tous, on ne s'en rend pas compte mais on le fait tout le temps. On est tout le temps dans un phénomène de bricolage et d'adaptation.
G. Maps :
Prenons un exemple très concret : Xavera vous, ça s'est passé pour vous comment, avec les voisins, avec les gens d'en bas ?
Xavera :
Pour moi, à l'intégration n'a pas été difficile, il y a des amis qui peuvent en témoigner. J'ai eu la chance de connaître une famille qui m'a permis de m'intégrer, je leur dis merci beaucoup, parce que c'est eux qui ont commencé à me montrer… A Solazur, les gens se rencontrent beaucoup de monde. Il y a aussi l'association Hexagone qui m'a permis de croiser beaucoup de monde. Je voudrais également remercier l'église catholique et qu'elle a fait, par exemple sur la question du logement.
G. Maps :
Il y a des gens qui vous ont ouvert des portes.
Xavera :
Oui, notamment le père à Robert Minvielle, et cette association Hexagone et d'autres dont je fais partie.
G. Maps :
Pour vous, Teresa, a ça veut dire quoi, ce mot d’intégration ?
Teresa :
L'intégration est un mot difficile, très souvent, j'ai l'impression qu'on le comprend comme un chemin vers le haut, qui désigne un idéal. Bien entendu en arrivant en France pour y vivre, on avait décidé de vivre d'après les lois françaises avec ses droits et devoirs. Après, il y a la vie sociale, la vie culturelle, donc est-ce que vivre à la française c'est forcément aller à un pique-nique ou passer des vacances au bord de la mer, préparer la fête de Noël côté cadeau, et d’autres choses qui relèvent de la vie sociale ? Nous étions accueillis par un réseau d’amitié très fort, accueillis de la façon la plus amicale et la plus merveilleuse possible. Par contre, il y a des moments difficiles, dans la fameuse intégration, quand on se rend compte au bout de quelques années à l'étranger que, dans la vie nous faisons tous des acrobaties, des moments difficiles : triple saut, quadruple saut, sauf que tant qu’on est dans son pays, il y a toujours un filet de sécurité qu'on ne sent pas du tout mais qui va nous rattraper même si on tombe. À l'étranger, dans l'immigration, ont fait les mêmes acrobaties mais il n'y a plus de filet. Ce filet, c'est le fait d'appartenir à une nation, au sens large, à une culture au sens profond. Nous avions beaucoup d’amis et cela a commencé comme ça : on voit des gens 5 minutes et ils disent : « Voilà nos nouveaux amis », mais ce ne sont pas les mêmes liens d'amitié, pas le même fonctionnement dans la famille, au sens large. Il y a aussi les coups de blues, ce qu’on vit quand on se rend compte que nous ne sommes plus de là-bas, que nous ne sommes plus de la Pologne tout en étant Polonais, et nous nous ne sommes pas encore d'ici. Notre génération ne sera jamais vraiment d'ici, donc ou bien on s'installe dans le vide profond traumatisant, c'est la déprime : « On n’est de nulle part », ou bien on se dit : « Nous avons bien deux pays, deux nations, deux cultures, on peut piocher dans l'un ou dans l'autre, on va essayer de faire quelque chose pour notre vie ». Donc l'intégration, c'est un peu la vision qu’on peu avoir des choses.
G. Maps :
Mohamed, ce qui m'a frappé tout à l'heure, vous n'aviez pas d'amis qui vous attendaient, vous ne connaissiez personne, vous êtes arrivé un dimanche à Tarbes et puis curieusement vous nous dites : « Je ne me suis rendu compte de rien, il n’y avait pas de problème ». À quel moment avez-vous pris conscience que vous étiez en train de vous intégrer ?
Mohamed Khoudar :
Oui en vivant ici je me rends compte que je ne suis pas chez moi. La France m'accueilli. Je vis dans un pays qui a un accord avec mon pays d'origine ; mon objectif est de faire des études et de retourner chez moi. Les circonstances de la vie jouent un grand rôle dans ce genre d’histoire, c’est-à-dire qu’il y a des immigrés qui viennent ici pour travailler. On arrive ici et puis on rencontre une femme on se marie, ont fait les gosses qui vont aller vers des études et on se retrouve coincé dans un pays où on n'a pas vraiment choisi de vivre, finalement, pour le suele raison qu’on y a trouvé un bien. Et c’est à ce moment-là, quand on sort de la vie étudiante, quand on commence à voir la vie en face, avec la famille, les enfants, là on se rend compte de l'intégration, avec le voisinage, avec le regard… Moi j'ai entendu de tout ! Je suis musulman d'origine, je ne suis pas pratiquant, je bois du vin : « Ah vous buvez du vin, vous êtes intégré ». Si vous mangez du cochon, vous êtes encore mieux intégré ! Les français ne comprennent pas bien l’intégration. L’intégration est dans ma tête et pas dans celle des autres. Moi, je me sens intégré parce que je vis en France, je me sens partagé, je me battrais pour la France comme je me battrais pour le Maroc, donc je me sens entièrement français bien que j’y sois venu à 19 ans, parce que c’est un pays qui m’a accueilli. Le français qui est comme moi, son regard ne me dérange plus. Mais l’immigré qui se sent toujours sous la menace, il va mal prendre les réflexions d’une caissière, qui est fatiguée, le soir, parce qu’il se sent toujours sur la défensive. On dit qu’il n’est pas intégré parce qu’il est mal habillé. Donc l’intégration, c’est difficile en France. Avec les amis on est bien intégré, avec le voisinage se pose le problème de notre qualité de vie, car on a l’impression qu’il faut toujours donner plus que les autres en tant qu’étranger. Là, on n’est intégré que par rapport à un contexte. Si je change de quartier, je ne suis plus intégré, parce que les gens vont à nouveau me voir comme un Autre, un noir, par contre avec les gens des associations ou du club de foot avec les enfants pour eux je suis très intégré. L'intégration ne se fait pas par un simple regard, elle est faite au jour le jour avec l'entourage.
G. Maps :
Jean-Luc Poueyto, qu'est-ce qu'une intégration aboutie ? que ça va jusqu'à l'assimilation totale : et maintenant il, elle, est comme nous et il n'y a rien qui dépasse…
Jean-Luc Poueyto :
Non, sûrement pas ! En pensant à ce que disait Mohamed, cette semaine je parlais à un jeune des banlieues, un vrai méchant, du quartier de l'Ousse des Bois à Pau. Je suis en train de faire un petit film sur la mémoire des immigrés et il me fallait un « vrai » jeune. Il accepte de parler dans le film. Je lui dis : « Mais au fait, est-ce que tu es un immigré, toi ? ». Il est né France où ses parents étaient même arrivés assez jeunes, et ils me dit pour moi, je ne suis pas un immigré, je suis français, mais pour les autres je resterai toujours un immigré ». Il porte ça comme une marque, et il ne pourra jamais faire autrement, il a beau avoir les papiers, ce sera toujours un jeune de l’Ousse des Bois. Pour lui, l’intégration sera toujours difficile.
Teresa :
C’est comme une personne qui a eu des problèmes de santé, elle sera toujours sensibilisée par rapport à qui a trait à la santé. Nous sommes très chatouilleux sur la question d'appartenance à un groupe social et ce n'est pas forcément négatif. Ce jeune aura conscience qu'il n'étonne sur cette terre mais en soi à la limite ce n'est pas un problème que d'avoir par devers soi l'idée qu'on a un autre pays. Pour cela, il faudrait qu'il est des contacts avec ce pays. Nous nous sommes à la première ou deuxième génération puisque j'ai des enfants nés en France et en Pologne. Eux ils ont cette de racines très présente même s'ils se font repérer en tant que personnes d'origine étrangère, ils sauront qu'ils ne viennent pas de nulle part, mais d'un pays différent où l'on fait d'autres choix, mais pas du vide.
Jean-Luc Poueyto :
Je voudrais ajouter à propos de ce film, on interviewait aussi une vieille dame, de 80 ans, qui est issue de l'immigration espagnole. Elle est arrivée en 1934 et elle vivait dans le quartier du Hédas à Pau. C'était le quartier des Espagnols, cela passait pour le quartier « nègre ». Tout s’y passait bien, il y avait un mélange entre Français et Espagnols, un mélange de gens pauvres. Pour raisons économiques et à cause de la guerre, il n'était pas question qu'ils retournent au pays. Puis dans les années 40, quand elle a eu 12-13 ans, ses amis français ont pu continuer à aller au collège mais elle en tant qu'espagnole n'y avait pas droit, donc elle a dû arrêter ses études et elle est entrée en apprentissage. Elle me disait : « C'est là que j'ai eu la colère ». Elle m’a expliqué que cette colère n'avait pas cessé jusqu'à présent, et qu'elle a été très constructive. C'est à cause de cette colère qu'elle s'est énormément investie dans ce même quartier, dans sa vie sociale, dans la création d'une maison des jeunes avec quelqu'un qui a fait un parcours scolaire très faible. Et tout ça à cause de cette colère de ne pas avoir été acceptée comme les autres.
G. Maps :
Marie-Françoise Saint-Laurent, pouvez-vous nous raconter cette histoire de deux jeunes, qui ont eu une motivation telle qu’en deux ans ils ont acquis la maîtrise de notre langue ?
M.-F. de Saint Laurent :
Dans le régime scolaire, il y a quand même des changements. Aujourd'hui il y a des bourses. Il y a trois ans, deux élèves se sont présentés, c'était lors de cette arrivée en masse à Tarbes pendant l'été 2002. Plusieurs personnes se sont présentées d’ethnies différentes et elles ont été logées dans un gymnase dans certains. Il a fallu beaucoup de solidarité autour d’elles. Rien n'était prévu pour les jeunes, il y en avait deux de 16 ans, mais pour les parents il était très important qu'ils puissent continuer leurs études. Quelqu'un a forcé les obstacles et est allé demander à un établissement de les recevoir, on les a admis en Seconde au Pradeau – La Sède. Ils ne parlaient pas du tout français, l'un d'eux était d'origine arménienne et l'autre Kosovar. Entre eux, ils sont devenus très amis. Je les regardais et je me demandais comment c'était possible puisqu'ils n'avaient aucune langue commune. Ils ont été obligés de suivre tous les cours, de français, d'histoire et géographie, sans comprendre un mot. Ils ont intégré le français par le biais des maths. Ils faisaient des progrès parce qu'ils comprenaient les maths qu'ils avaient déjà faites dans leur pays et donc ils comprenaient le français par ce biais. Ils étaient en seconde avec toutes les difficultés que vous pouvez imaginer. Je me rappelle qu'en histoire-géographie, ils ne pouvaient pas soutenir leur attention pendant des heures. Ils m'ont dit après : « On entendait « citoyens », et on comprenait « Citroën ». ». Ils sont passés en Première, l'un dans une section chimie, l'autre dans une section de comptabilité. L'un a passé son bacC français en fin de première avec d'excellentes notes et cette année, il prépare le baccalauréat. Pour lui, nous sommes complètement confiants, il aura son baccalauréat avec de meilleures notes que ses camarades. C'était un plaisir de leur faire cours en raison de leur motivation : ils comprenaient parce qu'ils en avaient besoin.
G. Maps :
Peut-on penser qu'ils garderont cette motivation comme la dame espagnole dont parlait Jean-Luc ? C'est une autre génération, mais il est remarquable de voir qu'à travers les générations, on note les mêmes aptitudes.
Marie-Françoise de Saint-Laurent :
En conseil de classe, quand on disait aux délégués : « est-ce que vous voyez les progrès qu’ils font ? », ils nous répondaient : « mais nous, on ne va pas se gâcher la vie comme eux ». C'était très difficile de faire comprendre cette motivation.
G. Maps :
La colère peut être un élément de motivation. Tout dépend comment on la gère. Teresa, à votre avis, est-ce que dans cette aventure il y a des pièges à éviter ? je pense par exemple à celui de l'assistanat, dont on parle beaucoup
Teresa :
Effectivement, pendant ces 18 premiers mois en France, nous avons eu un accueil formidable par nos amis et le droit de travailler. Il n'y avait rien d'autre, pas de programme social, pas de cours de langue, pas de facilités, pas d'allocations, donc il y a certaines situations qui ne génèrent pas un début d'assistanat ! Après, effectivement, on ne prend pas suffisamment en compte cet énorme réservoir d'énergie vitale qui existe dans ces gens qui arrivent et qui mettront vraiment tout pour survivre et réussir. En France, on vit bien, sans se casser la tête ni avoir besoin de se surpasser, donc il est difficile de comparer avec les efforts de ces jeunes de 16 ans qui veulent apprendre la langue, ou de ces adultes qui cherchent du travail et qui accepteraient n'importe quoi pour vivre et se construire. Dans cette situation, il y a deux facettes. Si on trouve un travail c'est déjà un moyen de vivre, mais ce travail est souvent au dessous des possibilités des personnes.
G. Maps :
Jean-Luc à votre avis, qu'est-ce qui coince le plus, est-ce que c'est au niveau législatif, est-ce que c'est dans l'attitude de « M. tout le monde », ou dans les fantasmes que trimbale l'ensemble de la société en pensant à ce que disait Marie-Françoise de Saint-Laurent tout à l'heure : cette façon de faire attendre les gens de sens, ça les casse.
Jean-Luc Poueyto :
On n’a que des histoires de vie, impossible d’en tirer des généralités. Sauf la différence entre réfugiés politiques et les autres. Les premiers ont souvent en eux quelque chose de terrible, des ruptures, avec des histoires de violence. Ils sont venus en France cachés dans des camions et ils dormaient sur un banc à côté du centre de formation. Quand il pleuvait ils dormaient debout dans l'entrée d'un immeuble, contre le mur. Ils ne comprenaient pas ce qu'ils estimaient être de la mollesse chez les jeunes Français. Il y a autant d'histoires d'immigration qu'il y a d'immigrés. Il y a une rupture quand il y a eu violence initiale. Les politiques savent qu’ils ne reviendront pas, ils ont laissé plein de famille et d’histoire, et n’ont pas choisi forcément d’être en France. C’est le cas des Bosniaques, la France n’a pas toujours eu une attitude merveilleuse à l'égard de la Bosnie, et ils le sentaient. Beaucoup auraient préféré l'Allemagne ou le Canada. À partir de cela se pose la question de quoi faire de ce passé. Faut-il prendre en compte cette histoire terrible qu’il y a derrière ? L’histoire de ces personnes fait partie de leur identité.
G. Maps :
Ceci appelle une réflexion sur ce qu'est l'identité. Mohamed, si je vous demande quelle est votre identité, que me répondez-vous ?
Mohamed Khoudar :
Je suis partagé entre 2 identités. Je ne suis pas le fils d'immigrés. Mes parents sont au Maroc. Je vis ici ma culture française, et au Maroc la culture marocaine. Je ne peux pas la casser. Mon exemple n'est pas l'exemple type. Ceux qui sont venus ici chercher un travail sont confrontés à des difficultés beaucoup plus graves. Trouver un emploi ouvre la porte vers l'intégration. Il y a des jeunes de 27 et 28 ans qui sont encore chez leurs parents parce qu'ils ne peuvent pas s'en sortir et ils détestent presque à la France, à la limite. Ils détestent l'autre, et même leurs compatriotes. Il disent : « j'ai la haine », la haine des jeunes sans insertion à l’égard de la France et aussi des leurs qui se sont intégrés.
Teresa :
Mohamed vient de dire : « Quand je rentre au Maroc ». On rentre là où on a sa maison, donc il s’est trahi sans le vouloir (rires). Mes enfants sont considérés comme polonais en France, quand ils vont en Pologne ils sont considérés comme français mais ils font en Pologne, ils ne « rentrent » pas, moi je vais en Pologne, je n’y rentre pas, ma maison est là.
G. Maps :
Vous êtes-vous fait une nouvelle identité ? Sans vouloir positiver à tout prix, les histoires difficiles à vivre peuvent structurer les gens. Mais on reprend sur ce qui coince le plus.
Marie-Françoise Saint-Laurent :
C'est l'aspect administratif, avec la question des papiers. C'est une menace qui pèse sur eux, qui est très difficile. Et puis ensuite, pour avoir suivi ces demandeurs d'asile, il est très difficile actuellement pour eux de trouver du travail. Et comme l'a dit Teresa, ils sont toujours obligés de choisir très en dessous de leur qualification, s'ils arrivent même à trouver du travail, comme c'est le cas de Xavera.
Xavera :
Justement je me demande ce que devait faire. Cela fait 10 ans que j'habite à Tarbes, j'ai eu la chance de pouvoir faire une formation et d'obtenir un diplôme d'État. On dit que là où il y a beaucoup de vieux il y a besoin d'aide à domicile, mais j'attends toujours parce que je n'en trouve pas. Je vais continuer à prendre ma valise, je vais quitter Tarbes.
Teresa :
Pour positiver, tous les coups durs qui amènent à s'installer dans un autre pays, c'est une preuve. Quand on est dans le bain, c'est trop dur, mais quand qu'on en est sorti, les coups durs structurent les gens. On peut avoir à la sensation positive d'être en équilibre. Dans la ville, on a besoin de se heurter à des limites, à des choses qui viennent de l'extérieur et qu'on ne peut pas maîtriser. Je me demande si dans ce groupe d'immigrés, il y a des cas de dépression. Les gens sont peut-être catastrophés, ils baissent peut-être un peu les bras, mais je ne crois pas que ce soit de la dépression, il y a toujours une énergie quelque part, ils seraient toujours prêt à rebondir.
Jean-Luc Poueyto :
Comme le disait très justement Mohamed tout à l'heure, je constate aussi qu’entre 18 et 25 ans des gens débordants peuvent se retrouver cassés, finis. Il y a aussi quelque chose chez les gens qui se sentent étrangers de l’intérieur, comme dans le cas des gens du voyage. Freud dit que quand un Etat a commis une injustice et ne l’a pas reconnue, il y a un phénomène de traumatisme : la communauté qui l’a vécu ne se relèvera pas. On le retrouve avec les Noirs et les Indiens d’Amérique, qui restent une population en déshérence. Et suite à l’internement des tziganes en France, il y a cette sorte de fatalisme, de poids, chez ces victimes d’une discrimination qui n’est pas un fantasme : on les a envoyés à Auschwitz, sans reconnaissance, donc ils resteront un peuple condamné, et une intégration est impensable.
G. Maps :
Cette affaire d’intégration ne serait-elle pas fonction d’échange et d’enrichissement mutuels ?
Mohamed Khoudar :
Oui, bien sûr. On se sent intégré avec les gens qui nous connaissent déjà. Mais il n’y a pas d’échange quand il y a méconnaissance de l’autre. Le premier regard donne déjà une idée sur l’autre. Un incident imputable à l’altérité peut être annulé si l’on arrive à se faire un signe comme quoi on partage des références : la caissière fatiguée dont je parlais tout à l’heure, si je peux lui dire « on est en fin de journée », elle comprend que je sais ce qu’est le travail, etc., on partage le même langage.
G. Maps :
Je voudrais pour clore cette première partie vous raconter l'histoire de Jacques qui vient du Cameroun. Or Jacques n’existe pas depuis 11 ans parce qu'il n'a pas de papiers. Il travaillait dans une banque dans son pays. Il a choisi de partir. Il était cadre dans sa banque. Il disait que c'était un milieu rongé par la corruption et les magouilles. Au point qu'il ne supportait plus d'en faire partie. Il décide de quitter son pays et de tenter sa chance ailleurs. Il arrive en France avec un visa de tourisme. Vous connaissez l'histoire, classique. Comme il est diplômé, c'est clair que pour lui, d'ici quelques semaines, il aura du travail. Mais ça ne se passe pas commis la prévue. Après un moment de répit, la clandestinité commence. Petits boulots, désillusion. Au bout de 10 ans, on l'interroge, et il répond : « Il paraît que l'esclavage a été aboli, c'est une bonne blague, parce que moi pendant plusieurs années j’ai travaillé 20 heures, et encore, sans me plaindre, parce que sinon je risquais la dénonciation et une éventuelle reconduite à la frontière ». Un ami accepte de lui sous-louer un appartement, un autre réceptionne son courrier, un troisième, qui est médecin, le soigne. Et toute sa vie se déroule comme ça. On lui pose un jour la question de l'intégration. Il répond ceci : « Si être chez soi, c'est être reconnu par les commerçants du quartier, salué par ses voisins, engagé dans la vie du quartier, et entouré de ses amis, alors ma maison est ici. » Pourtant cela fait plus d'un an qu'il attend une réponse de l'administration et quand on lui pose la question de savoir ce qu'il va faire, il répond : « Je préfère me dire que je m'en fous. Sans papiers, ou avec, ma vie est dans cette ville, au milieu de ces gens qui m'ont accueilli, je me suis bien débrouillé jusque là, je sais que je m'en sortirai. »
Débat avec le public.
G. Maps :
Les questions qui nous sont parvenues sont assez souvent des questions de législation.
Jean-Luc Poueyto :
Oui, on demande quelle est la législation républicaine qui va contre les gens du voyage. Il y a la loi du 3 Janvier 69 qui définit le statut de nomade et impose le carnet de circulation et l'obligation de le montrer tous les trois mois aux forces de l'ordre. Quel citoyen français est obligé de faire ainsi ? D'autre part, pour la définition de la qualité de citoyen, il faut parler du droit de vote. Une marque d’intégration, c’est de pouvoir voter dans la commune où on vit. Cette loi renvoie les gens du voyage à une commune de rattachement qui, pour toute la région pyrénéenne, est soir Marseille, soit Tarbes. S’ils veulent en changer, il faut qu’ils fassent un dossier, compliqué, et écrit, or ce ne sont pas des gens de l’écrit. Le dossier est traité par la préfecture qui demande l’avis du maire. Elle est obligée d’en tenir compte. Le maire, à Pau comme ailleurs, dit automatiquement « non ». Or, il doit justifier sa décision. Il faut que la personne présente un danger… Si jamais la demande est acceptée, et c’est là qu’il y a vraiment inégalité, ils doivent attendre 3 ans avant de pouvoir voter. Or vous, si vous changez, vous devez attendre 6 mois. Et depuis la loi Aubry de prévention des exclusions qui date de Juillet 98, les SDF peuvent également voter au bout de 6 mois à partir su moment où ils ont une association qui les reconnaît comme habitants. A partir de là, les associations de gens du voyage se sont dit : « on va pouvoir voter ». Eh bien, il y a eu une circulaire pour dire que cette loi ne s’appliquait pas aux gens relevant de la loi du 1969, c’est-à-dire aux gens du voyage. On dit : les gens du voyage ne s’intègrent pas, mais en même temps, dans la loi, ce sont les seuls !
G. Maps :
Il y a une autre question., portant sur les rapatriés d’Algérie, d’origines diverses, qui ont dû tout abandonner sans espoir de retour., mais traités de colonisateurs. Leur parcours n’est-il pas le même ?
Jean-Luc Poueyto :
Je suis né à Alger…
G. Maps :
La personne qui a posé la question veut-elle la préciser ?
Question :
Je ne suis pas née à Alger, j’ai découvert ce problème après coup, en m’apercevant que les rapatriés n’étaient pas tous riches, qu’ils n’étaient pas partis pour s’enrichir, qui étaient très contents d’être devenus français, avec ce côté un petit peu pionnier, et j’ai reconnu le même style de parcours que ceux que vous nous avez décrits. Je me suis demandé s’il n’y avait pas le même genre de parcours que pour les étrangers dont vous nous parlez.
Jean-Luc Poueyto :
Moi non plus, je ne me suis jamais senti colonisateur ! Ce qu’il y a de terrible, c’est la douleur de l’exil. Sans doute qu’il fallait que l’Algérie soit indépendante, mais quand en tant qu’enfant, on te dit : « tu es interdit ici », cette douleur de l’exil, on n’y a pas droit, on n’a pas droit à sa reconnaissance. Soit on est récupéré par des mouvements politiques que je n’aime pas, soit au contraire il faut la taire alors qu’il est légitime que des gens qui ont vécu dans un pays, quel qu’il soit, et notamment des enfants, innocents dans ce genre de situation, puissent avoir droit à cette douleur de l’exil, qui y est pour beaucoup dans mon trajet et dans mon travail auprès des immigrés.
G. Maps :
La douleur de l’exil des rapatriés peut être un facteur de partage avec les immigrés. Maintenant, deux questions qui vous concernent, Xavera. Le mot « racisme » n’a pas été prononcé. Est-ce que vous l’avez vécue, cette réalité ?
Xavera :
C’est une question difficile, mais je vais essayer de répondre. Quand je faisais ma formation à Tarbes, à l’école d’infirmière, il est vrai que j’ai été confrontée au problème du racisme. On devait faire des stages chez des particuliers et être suivis par les associations qui aidnet les personnes à domicile. Quand on m’a présenté la dame qui devait me suivre, elle a dit qu’elle ne pouvait pas me prendre parce qu'elle n'aimait pas les noirs. Ceci a été vérifié par le directeur de l'école d'infirmières. Cela ne m'a pas empêché de continuer parce que je n'étais pas là pour faire la guerre, j'étais là pour avoir mon diplôme. Heureusement que tous les Tarbais ne sont pas comme ça.
G. Maps :
Françoise, des questions qui vous concernent. L'une s'interroge sur la longueur du délai nécessaire pour obtenir le droit d'asile. Et qu'en est-il de ce qui ne sont pas reconnus réfugier ?
Marie-Françoise Saint-Laurent :
Le délai est complètement irrégulier. Il y a des gens qui attendent entre deux et cinq ans et il y en a qui obtiennent le droit d'asile au bout de trois mois. C'est complètement aléatoire. L'Office français des réfugiés apatrides est submergé de dossiers, il n'y arrive pas du tout, vous avez peut-être entendu parler de la grève des officiers parce qu'ils ne s'en sortaient plus. M. Chirac avait promis de réduire les délais, mais nous n’avons rien vu dans la pratique. Quant aux gens qui sont déboutés, c'est-à-dire 80 % des 65600 demandeurs, n'auront pas le droit de rester en France. Aujourd'hui, il n'y a plus qu’un guichet, ils ne peuvent plus faire que la demande de réfugié politique. La seule chose qui reste, c'est au préfet de donner des droits d'asile humanitaire, c'est-à-dire pour raisons de santé ou parce que les enfants sont ici ou parce qu'il y a vraiment un danger pour la personne à retourner dans son pays d'origine. Ceux qui restent, nous en connaissons quelques-uns ici, nous avons fait beaucoup de démarches auprès de la préfecture pour qu'elle accepte de garder certaines familles, celle qui était les plus implantées, dont les enfants parlent français, qui allait à l'école. Les autres nous en voyons encore, malgré tout ce que nous pouvons dire, qui disparaissent de la société et qui deviennent des sans-papiers. Cela a été le cas dernièrement avec une bosniaque et un tchétchène qui se voulait absolument pas retourner dans son pays parce que cela voulait dire pour lui retourner en Russie et qui a disparu. Les déboutés sont ceux qu'on appelle les sans-papiers. Notre association s'occupe en principe surtout de ceux qui sont encore en instance.
G. Maps :
Quelqu'un demande si l'intégration doit faire perdre systématiquement ses racines, son identité. Qui veut répondre ? En principe, la réponse devrait être non.
Xavera :
Justement, une bonne intégration, ça ne veut pas dire oublier tes racines, au contraire il faut le garder. Je veux donner un exemple, pris là où j'habite, j'habite avec les Portugais, les Espagnols, les Marocains, les Algériens. J'ai tendance à demander les recettes des autres pays et je prends aussi des recettes françaises. Donc, j'aime l'échange.
G. Maps :
Une autre question, sur les mots : est-ce qu'on peut parler de migration pour les réfugiés ? n'y a-t-il pas ambiguïté a employé les mêmes termes pour ce qui concerne le réfugié et les autres catégories de migrants ?
Teresa :
Il faut faire la différence entre celui qui part de son pays pour des raisons de santé et ou de danger, et celui qui empare pour des raisons économiques ou pour rejoindre sa famille ou pour faire des études. Donc il y a bien deux termes différents.
G. Maps :
Le réfugié politique est forcément un migrant. Une autre question concerne les 65 000 demandeurs d'asile en France mais seulement 15 % d'acceptés : est-ce qu'on peut dire que la France est le premier pays d'accueil ? est-ce que ça veut dire que dans les autres pays, c'est pire ?
Marie-Françoise Saint-Laurent :
La France n'est pas le pays d'accueil, c'est le pays qui attire le plus de gens. Devant les États-Unis. Mais ensuite pour ce qui est de l'accueil, c'est autre chose. Nous sommes très mal placés pour l'accueil. (Réponse à une question de la salle) alors que depuis plusieurs années on nous répète qu’on serre nos frontières, en 2004 65 000 personnes sont arrivées en France. En 2003, les frontières étaient moins fermées et il y en avait 62 000. Donc, plus on ferme nos frontières, et plus il y a de gens qui passent. La solution est ailleurs.
Question de la salle :
Je crois que plus on ferme les frontières, et plus les gens arrivent. Il faut donc parler aussi des filières, des filières mafieuses qui pillent les gens pour le faire venir. Il y en a qui ont été contrôlé et qui se sont retrouvés sur le plateau de Ger. J'ai participé à un de ces contrôles, j'ai voulu m'interposer, on m'a dit que si je n'étais pas content je n'avais qu'à aller à la gendarmerie puisque ces gens ont les amenait à la gendarmerie pour contrôle d'identité. Je suis allé à la gendarmerie et j'ai attendu : personne. J'appris plus tard en revoyant ces gens qui étaient revenus à pied sur Tarbes, qu'ils avaient été largués sur le plateau de Ger. Donc c'était comme une espèce d'intimidation. Mais après, ça m'a permis de discuter avec eux, et ils m'ont appris qu'ils étaient passés ici, en France, cette année, qu'ils avaient donné beaucoup d'argent pour le passage et qu'en plus leur famille chez eux s’était endettée pour leur payer ce passage vers la France. Donc ça veut dire que quand les frontières sont fermées, il y a des filières très bien organisées qui en profitent et qui savent parfaitement passer les gens, sans doute avec des complicités au niveau de contrôle. J'ai trouvé que ce que j'ai vécu la était illégal, je suis allé voir un député pour savoir si je pouvais porter plainte et on est en train d'étudier la question. Pour revenir sur quelque chose qui a été dit tout à l'heure, c'est le problème de la corruption. Moi, j'ai été étonné de voir dans un grand quotidien que le Pape avait dit que la corruption en Afrique avait été importée par l'Europe.
G. Maps :
Vous aviez complété votre question en écrivant que les migrants venaient pour échapper à la misère, mais elle est générée par qui ? il y a des raisons économiques dont il faudrait peut-être parler.
Marie-Françoise Saint-Laurent :
Moi je suis toujours effet quand on me demande si les réfugiés sont plutôt politiques ou économiques. Aujourd'hui les deux choses sont étroitement liées, et en disant cela, on jette l'opprobre sur celui qui n'aurait pas été un militant, qu'il aurait pas été menacé. Il y a des gens qui viennent ici parce qu'ils ne trouvent pas de travail mais il faut qu'ils prouvent qu'ils sont des réfugiés politiques, qu'ils ont appartenu à des parties, à des syndicats, qu'ils ont été torturés, et cela explique aussi que le nombre de rejets. Mais simplement, nombres de gens ne peuvent pas vivre dans leur pays. La distinction entre réfugiés politiques et réfugiés économiques me mettrait souvent mal à l'aise.
G. Maps :
Ceci pose aussi la question du droit au travail. Teresa, quand vous êtes arrivés, c'était possible. Maintenant ça ne les plus.
Marie-Françoise Saint-Laurent :
Il leur est interdit de travailler tant qu'ils n'ont pas le droit d'asile ceux qui sont en CADA, le centre d'accueil des demandeurs d'asile, comme à Lannemezan à la Raymondia, reçoivent un petit pécule et ils bénéficient d'une assistance sociale. Il y a des éducateurs, des gens qui les aident à former ce dossier, parce que ce que vous devez savoir, c'est que quand ils arrivent, ils se présentent à la préfecture, ils reçoivent une autorisation provisoire de séjour, une APS, et un dossier très complexe et qu'ils doivent rédiger en français en 20 jours. Ceux qui sont au CADA bénéficient d'une aide linguistique. Ceux qui sont éparpillés à Tarbes ne savent pas toujours comment il faut faire. C'est bien trop court, et ce dossier est déterminant. Ils ne pourront plus rien n'y rajouter. Il faut que ce dossier soit le squelette de tout ce qu'ils auront à dire dans le futur pour demander l'asile à la France. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons créé cette association, pour pouvoir aider les gens, notamment à remplir ce dossier correctement. C'est pour cela que nous cherchons des interprètes. Je vous veux aussi répondre à une autre question qui m’est parvenue quel aide concrète peut-on apporter à l’UDA : les moyens humains sont d'une importance inestimable, et plus vous êtes à nous rejoindre notre permanence, 8 rue de Solférino dans la maison des conférences Saint-Vincent, plus le soutien peut s'accroître. Pour le moment nous n'avons pas de moyens, nous avons demandé à la Ddass un local, nous l'avons pas encore et nous bénéficions simplement de cette salle. Etre avec nous, accueillir les réfugiés et échanger avec eux, c'est déjà énorme.
Intervention de la salle :
Xavera a la gentillesse de dire que nous l'avons aidée. En fait, nous avons eu magnifiquement échoué, plus que 10 ans après, tu dois partir. Dans ton hectare, bien sûr il y a la recherche du travail, mais il y a aussi de la recherche de tes compatriotes ou de ta famille. Cela me fait poser la question : est-ce que l'intégration n'est pas facilitée par une vie en communauté qui consiste à se serrer les coudes un peu plus que tu l'as pu le faire. Tu t'es trouvé seule rwandaise. C'est pas facile, surtout en venant d'un pays déchiré par cette guerre, tu t'en vas dans le nord parce que en Belgique il y a beaucoup de rwandais et ta famille. Les choses auraient été plus faciles si tu étais moins seul de ton origine. Je vais demander aussi à Mohamed de telles armes si le fête d'avoir une communauté d'accueil ne rend pas les choses plus faciles.
Xavera :
Vous dites que je voudrais me rapprocher de la communauté rwandaise, j'ai dit depuis longtemps que je ne renie pas ma communauté, mais je ne voudrais pas continuer à être dans la communauté pour continuer à remuer tout ce qui s'est passé, parler de la guerre, donc c'est pour ça que j'ai voulu m'intégrer dans la société française. Les rwandais entre eux aiment toujours retourner ce problème, ce que je ne voulais pas. Et puis j'étais très bien entouré, la preuve : je reviendrai encore pouvoir.
Teresa :
Bien entendu, le fête d'exister dans une communauté est énormément, mais il faut encore qu'elle existe, et dans mon cas, dans le grand Sud, il y a très peu de polonais. On a fini par se repérer quand même. Bien sûr il y a des moments de nostalgie, on se rend compte qu'on rigole de même chose, qui me révolte, sans avoir beaucoup d'affinités par ailleurs. Donc, vous d'un côté ça aide, mais c'est vrai qu’il y aurait ce risque de retomber dans une nostalgie de vie de, pour rien, puisque le petit groupe de gens qui avons émigré dans les années 80, nous avons connu notre pays autre. Ce pays que nous avons connu n'existe plus. C’est plus « autant en emporte le vent ». La nostalgie peut rendre la vie plus dure.
Mohamed Khoudar :
A Pau, il y a pas mal de Marocains, même quand j'étais étudiant. Il y en a pas mal qui sont restés comme moi. C'est vrai que c'est une ressource, quand on se retrouve, on partage des choses, il n'y a pas d'aide matérielle mais une aide chaleureuse, on va se ressourcer avec les amis, parler du pays et dès qu'on se retrouve à quelques-uns dans un groupe, on va ressortir des souvenirs pour se ressourcer. Je pense qu'on a besoin d'une double culture. Cela aurait pu être une aide pour Xavera.
Jean-Luc Poueyto :
Ce genre de réseau peut avoir un double tranchant. Je pense à la communauté portugaise de Pau, à la communauté turque aussi. Il y a des communautés familiales, en gros il y a deux grosses familles de Viseu et on ne peut pas dire et il y a une vraie intégration réussie. De même les Turcs, ils viennent, ils se marient avec des Turcs de Turquie et ils ont toujours l'idée qu'il faut repartir et souvent ils repartent pas. Il y a un effet pervers des relais, c’est bien et chaleureux, mais cela leur sert à se faire croire qu’ils vont repartir, ils construisent de grosses maisons là-bas avec plein de fer forgé mais qui serviront à qui ? Il y a quatre salles de bains pour les gosses, mais où vivront ces gosses ? Certains Portugais dans le bâtiment travaillent et parlent entre eux, et au bout de 30 ans, certains ne parlent même pas vraiment français. Mais il faudrait que ce soit à géométrie variable.
Un prêtre Béninois :
On n’existe pas en fonction de papiers, notre identité n’est pas de ce monde… Il faut forcément que le regard de l’autre m’apportent, mais ce n’est pas essentiel. Là où je peux rendre les gens heureux, là est ma patrie. Ce n’est pas mon identité interne, figée, qui va me faire exister, mais la qualité de ma relation à l’autre.